Sensible aux différentes problématiques liées aux droits de la copropriété, après sa formation juridique en France, Dalila Ennaciri, spécialiste de la gestion professionnelle de syndic, décide de rentrer au Maroc, pour apporter son savoir-faire à son pays. Dans un domaine qu’elle a côtoyé de près et maîtrise bien : le syndic de copropriété. Ainsi, la GESTIS, société de gestion immobilière et de services, voit le jour en 2016. Résolument engagée dans une politique de satisfaction de ses clients, la directrice générale de GESTIS a une vision pour l’avenir du métier, mais elle souhaite tout d’abord une refonte de la copropriété, en vue d’une meilleure gestion du milieu.

1) Quelle lecture faites-vous des mutations connues par votre secteur d’activité ces dernières années ?

Notre secteur d’activité, la gestion des syndics professionnels a connu de grandes mutations liées à l’évolution de l’immobilier au Maroc et à l’évolution de la taille des projets immobiliers. Qui dit évolution de la taille des projets, dit évolution de la complexité des normes de construction, également évolution de la complexité des équipements que l’on trouve dans les copropriétés. Cette évolution des complexes immobiliers a été tirée par l’évolution du métier et sacralisé avec la loi sur la copropriété, qui a un peu évolué en 2007. Avec la nouvelle loi qui est venue amandée la loi 18-00 et la compléter pour s’adapter à de nouvelles réalités comme la copropriété horizontale. Aussi appelée les résidences de villas, avec les changements de durée de prescriptions, du fait des dettes qui sont de plus en plus énormes, les budgets de plus en plus gros dans les copropriétés. Ces complexes immobiliers sont de plus en plus difficiles à gérer, du faite de leur taille, de plus en plus grands. Nous essayons dans notre métier de s’adapter à cette évolution, afin de mieux faire notre travail.

2) Concrètement, de quoi a besoin une copropriété pour être bien tenue ?

Une copropriété pour être bien tenue a besoin de procédure et du livrable. Entendez par procédure, se mettre d’accord avec les copropriétaires. « Comment le fonctionnement des syndicats se fera ? » « Comment est-ce que les prestataires seront gérés et qu’est-ce qu’on attend des prestataires ? » À côté, nous avons le livrable, qui est le rapport dans une copropriété. C’est la communication transparente à laquelle doivent s’attendre des copropriétaires. Une copropriété, dans laquelle, on ne partage pas les états financiers, on ne communique pas avec les copropriétaires, à un moment donné, elle explose et part en vrille, parce que l’opacité fait naître l’animosité, si je peux me permettre.

3) Selon vous, le cadre légal actuel répond-il aux exigences du métier ?

Pas du tout. Selon moi, le cadre légal est loin d’être conforme à nos attentes, nous professionnels ou bénévoles de syndic. Le cadre légal a évolué, c’est vrai. Il a surtout évolué pour tout ce qui est procédure de paiement, sauvegarde des parties communes et respect des équipements communs. Mais il reste encore très difficile dans la pratique. Le problème aujourd’hui, nous avons du mal à avoir un outil pour réagir rapidement, quand il y a le moindre problème. Je vous prends exemple d’une transformation de façade. Nous sommes obligés de faire un parcours classique. C’est-à-dire avertir les autorités, interpeller la personne concernée en justice et tout ceci prend du temps. Pendant que le concerné continue ses travaux paisiblement. Si nous avions un type de mission spéciale ou une autorité locale ou encore une police de proximité, qui prenait en charge ce genre de problème et faire arrêter immédiatement ses travaux, ce serait l’idéal. Les copropriétaires aujourd’hui se disent « ce sont mes travaux. Allez-y faites votre procédure ». La procédure peut se faire pendant que les travaux sont faits, mais le problème, c’est qu’elle prend du temps et elle coûte de l’argent. Les copropriétaires profitent donc de ce vide et nous laissent les mains liées, à ne pas pouvoir faire notre travail correctement.

4) Quelles améliorations souhaitez-vous de la part des autorités pour remédier aux difficultés évoquées ?

Les améliorations que nous souhaitons sont de deux ordres. Le premier, je dirai, c’est le cadre de la loi elle-même. Je parlerai de la forme et du fond. Nous avons un problème de fond, c’est l’application de la loi. «Quels outils le législateur donnerait-il aux syndics pour qu’ils puissent être réactifs en cas de travaux ? » « Quels outils le législateur donnerait-il aux syndics, pour agir en cas d’infraction aux parties communes ? » Je vous donne un exemple. Vous avez une voiture qui vient se garer au milieu du parking. Que pouvez-vous faire ? Evidemment rien, vous ne pouvez pas appeler une dépanneuse, vous êtes mains liées. Vous ne pouvez rien faire. Vous attendez que la personne arrive et enlève tout simplement son véhicule. Aujourd’hui, nous syndics, nous souhaitons savoir, qu’est-ce que le législateur ferait pour nous aider, à faire appliquer la loi ? Nous voulons des outils plus rapides, des procédures au tribunal qui sont simplifiées. Mettre à notre disposition des documents essentiels, tels que les plans des copropriétés. Nous gérons des copropriétés dont nous n’avons même pas les plans, ce n’est pas normal. Ainsi que les titres fonciers de l’ensemble des lots, des appartements, des villas. Nous souhaitons vraiment être en possession de ces outils.

En ce qui concerne l’aspect forme, nous attendons du législateur, qu’il repense le métier de syndics, le cadre légal des syndics. Aujourd’hui, le métier est complètement libre au Maroc. Qui veut être syndic, peut l’être, quand il le veut, du jour au lendemain. Il n’y a pas de formation requise, il n’y a pas de carte professionnelle, ni aucune caution demandée, ni exigence à avoir des bureaux ou un local commercial. De plus en plus, nous avons des sociétés qui travaillent en domiciliation et elles sont quasi-fantômes et opèrent sur le marché. Ces structures gèrent parfois des millions de dirham et ça fait des fois, froid dans le dos, de le dire. Comment est-il possible de faire du recouvrement, d’être établi comme une entité de factoring ou même banquière, collecter de l’argent, faire des appels de fond, gérer des comptes bancaires et sans être déclaré nulle part? comment peut-on faire tout ceci, sans aucune existence légale pour exercer ce métier ? C’est grave. Nous avons connu un paquet de scandales de sociétés de syndics ou des syndics qui ne font pas honnêtement leur travail et qui reste impunis, tout simplement parce que ça reste une SARL, qui pourra fermer du jour au lendemain. C’est pour toutes ces raisons que nous souhaitons des réactions du législateur sur le fond et la forme.

5) A vous entendre, il n’existe pas de procédure pour la création d’un syndic ?

Il n’y a pas vraiment de procédure. C’est l’une des raisons pour lesquelles, j’ai créé l’Association marocaine de la copropriété (AMCOP). C’est la première association dans ce sens. Elle est encore une association jeune, parce que le débat n’a pas intéressé grand monde, malheureusement. Les professionnels de syndics eux-mêmes, ne se sont pas intéressés à l’association. Du coup, je suis un peu toute seule à militer dans ce sens. La question aujourd’hui n’est pas « comment créer l’association ? » La question, c’est « quant est-ce que le législateur aura entendu la sonnette d’alarme pour pouvoir réagir ? » C’est vrai qu’une association fera entendre la voix de ces problématiques, mais les problèmes, nous les connaissons tous. Nous sommes tous copropriétaires quelque part. Nous habitons tous et connaissons ces problèmes de copropriétés, qui nous touchent tous, tous les jours.

La gestion de syndics est aujourd’hui, un problème bien plus profond que juste le paiement des cotisations. C’est un véritable problème de fond qui va de la maintenance des ascenseurs jusqu’à l’obtention de l’agrément par une société pour faire l’entretien de ces derniers. Savez-vous que pour le maintien des ascenseurs, c’est pareil que la gestion des syndics, il n’y a aucun agrément qui est demandé. Vous mesurez la gravité du problème. Autant pour un contrôle technique de voitures, il faut avoir une autorisation, il en faut de même pour le contrôle technique d’un ascenseur. Des agréments doivent être délivrés pour prendre soin de ces engins que nous utilisons tous les jours. Ne pas le faire, c’est un peu jouer avec la vie des gens. Est-ce qu’on doit attendre qu’il y ait beaucoup de catastrophes (avant d’y songer) parce que des catastrophes, il y en a déjà eu par le passé.

La refonte de la copropriété passera par beaucoup de choses. Elle passera par l’agrément pour maintenir les ascenseurs, par les réserves que doivent remettre en état un promoteur, par les documents que le promoteur doit remettre aux syndics, par élaboration d’un budget à respecter pour la copropriété. Énormément de choses sont à prendre en compte, il n’y a pas que la problématique de façade ou de paiement. C’est un ensemble de choses qui orbitent autour d’un syndicat de copropriété.

6) Quels sont aujourd’hui, les enjeux de la règlementation du métier de syndic au Maroc ?

Les enjeux sont de taille pour le Maroc. Nous sommes sur une valorisation de patrimoine de plus en plus importante. Nous sommes sur un mètre carré, qui est de plus en plus à la hausse, surtout dans les grandes villes. Nous avons le prix du mètre carré dans certains quartiers, qui avoisine celui des villes européennes. Nous avons également une cadence, un rythme de construction de plus en plus soutenu. Même pendant la crise sanitaire, les prix de vente du ciment n’ont pas chuté comme ce fut le cas dans certains pays. La cadence de construction est donc bien présente. De plus en plus, nous habitons en appartement, en copropriété. A un moment donné, nous verrons des villes avec uniquement des immeubles, comme c’est le cas dans certaines villes d’Europe. Nous allons de plus en plus vers la verticalité, vers la copropriété, l’enjeu est de taille. Le projet, il est là : construire en verticale. Mais il faut que la loi s’adapte et soit beaucoup plus souple et rapide et nous donne des outils pour être beaucoup plus réactifs, sinon nous ne nous s’en sortirons pas.

7) Dans la gestion d’une copropriété, est-il avantageux de faire appel à une structure professionnelle comme la vôtre ?

Il n’est pas obligatoire que le syndic soit bénévole ou professionnel. Mais dans la majorité des grandes copropriétés (où on a affaire à une gestion de 100, 200, 300, 600, 900 lots, appartements ou villas, voire plus) on peut difficilement les confier à des bénévoles, car il est tout de même question de gros budgets et plusieurs prestataires à gérer. C’est une comptabilité à plusieurs chiffres, donc il vaut mieux faire appel à un syndic professionnel, pour mieux gérer la situation.

8) Peut-on dire qu’il est coûteux de faire appel à une société comme la vôtre ou existe-t-il des seuils d’honoraires ou de modalités à ne pas excéder ?

Non…Couteux c’est un mot qui n’a pas beaucoup de sens. Nous en tant que société de syndic, notre coût varie en fonction de la taille de la résidence à administrer et surtout en fonction de la nature de la tâche. Lorsque nous avons une très grande propriété à gérer, nous avons plus de personnel que nous déléguons sur le site. Nous avons également plus de volume d’argent et de transactions à gérer, il est donc normal que le coût soit un peu plus élevé que dans une copropriété plus petite. Mais nos tarifs sont dans la moyenne du marché et c’est des tarifs normaux.

D’ailleurs, vu que vous me tendez la perche, peut-être qu’on arrivera à jour au Maroc, comme le font déjà certains pays, à avoir des contrats-types ou avoir des tarifs, je ne dirai pas homologués, mais connus. Nous en aurons, quand le métier sera règlementé. Pour l’heure, il est difficile de comparer le coût des sociétés qui ont une structure et des bureaux, du personnel avec une entreprise qui n’a pas tous ces coûts, elle sera forcément beaucoup moins coûteuse. C’est pour toutes ces raisons que nous devons parvenir à la règlementation du métier.

9) Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus souvent dans l’exercice de votre profession ?

Les problématiques auxquelles nous faisons face nous en tant que GESTIS, c’est vraiment des problèmes de réactivité. Nous n’avons pas d’outil juridique pour pouvoir être réactifs. Nous aurions aimé avoir une police de proximité, qui vient tout de suite arrêter des travaux avec une amande et demander au concerné de remettre en l’état initial une façade, sur laquelle des travaux ont été engagés. Nous avons également les problématiques liées aux réclamations, qui ne sont pas du ressort de la copropriété (le bruit entre voisins, le jeu des enfants, la mauvaise connexion). Enormément de réclamations pour lesquelles nous sommes interpellés en tant que syndic et qui ne sont pas de notre ressort. Mais nous sommes obligés d’intervenir, de répondre présent. La notion de copropriété au Maroc n’est pas tout à fait mature. Beaucoup de gens confondent leur fenêtre et la façade de la fenêtre. Pour eux, il s’agit de leur balcon, ils en font ceux qu’ils veulent. ces personnes ont du mal à comprendre que le balcon est une partie commune. Ils ne peuvent pas le fermer quand ils veulent. Il y a encore une grande immaturité de la notion de copropriétaire au Maroc.

10) Quel bilan faites-vous de la présence de GESTIS au Maroc et quelles sont vos perspectives d’avenir ?

GESTIS opère sur le marché marocain depuis ces six dernières années en proposant des prestations de gestion professionnelle de syndic de copropriété. En plus de la grande connaissance du marché et l’expertise métiers développés, notre groupe gère aujourd’hui plus de 9.000 lots répartis sur plus de 40 copropriétés à Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger, ce qui en fait un acteur de référence dans le secteur au Maroc. Nous avons choisi pour GESTIS un modèle de développement interne afin de capitaliser sur la croissance organique et naturelle que l’entreprise connaît depuis sa création. Notre expertise et notre réputation nous ont permis d’évoluer qualitativement et quantitativement, en élargissant notre portefeuille de prestations et en décrochant des projets de plus en plus grands et importants.

L’ambition de GESTIS pour les deux prochaines années est d’investir massivement dans la digitalisation avec une approche de business intelligence. Connaître mieux nos copropriétaires et anticiper leurs demandes, gérer les problématiques de locations courte durée, les objets connectés dans une copropriété, permettre un vote ou sondage électronique instantané… Autant de possibilités d’interactions et d’analyses de données que le vrai syndic digital pourra proposer pour améliorer la vie de la copropriété.

11) Quels sont les avantages de l’entente entre promoteurs immobiliers et société de gestion de syndic ?

Il y a énormément d’avantages. Quand un promoteur livre un projet (dans notre jargon), le promoteur se trouve dans la position du vendeur et du gestionnaire. La position du vendeur, parce qu’il a vendu le bien et celle du gestionnaire, parce qu’il va toujours avoir pendant une certaine période, le service après-vente et la réparation des réserves qui vont apparaître sur le site. C’est normal qu’il y ait des petits défauts qui apparaissent, cela fait partie de la garantie. Le promoteur a donc tout intérêt à mettre en copropriété immédiatement son projet.

Confier à un syndic, pour séparer les deux choses. C’est-à-dire rester promoteur focalisé sur les ventes et sur le service après-vente, afin de laisser les problématiques de voisinage et de copropriété à un tierce, qui s’en occupera. Lorsque le promoteur fait les deux, il y aura toujours un mélange d’interlocuteurs. Il peut arriver qu’on continue de lui faire appel au pour un problème d’ascenseurs au bout de la deuxième année. Même s’il est sorti de la garantie pendant la première année. Mettre en place un syndicat, c’est un gage de transparence entre le promoteur et son acquéreur, qui est à la fois acquéreur et copropriété. Lié au promoteur par la garantie et pour le fonctionnement du bien, car le promoteur, lorsqu’il a vendu, il n’est plus promoteur, mais devient copropriétaire.

Pour ne donc pas être jugé partie (être à la fois syndic, promoteur et garant du service après-vente), il vaut mieux séparer les deux et avoir une gestion plus transparente et bénéfique pour le promoteur. Cela dédouane clairement son image. Dans le cas où, l’on fait face à des problématiques d’ordre de copropriété, on s’oriente vers le syndic et quand celles-ci concernent la garantie, si garantie il y a toujours, on s’oriente vers le promoteur. Mettre en place le syndic, c’est aussi une preuve de transparence et de clarté, notamment dans les comptes. S’il est question de cotisations pour des copropriétaires, autant les copropriétaires paieront leurs, de même le promoteur paiera la sienne, puisqu’il est désormais simple copropriétaire et tout le monde se doit de participer au fonctionnement de la copropriété. L’intérêt des acquéreurs, c’est la sauvegarde de leurs biens. L’intérêt du promoteur, c’est continuer à vendre et continuer à maintenir le standing du projet immobilier. Le promoteur a tout à y gagné.

 

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