Alors que la transition énergétique mondiale s’accélère autour de l’hydrogène, le professeur Omar Mounkachi, enseignant-chercheur à l’Université Mohammed V de Rabat et affilié à l’Université Mohammed VI Polytechnique, présente une percée scientifique majeure dans le domaine du stockage solide. Soutenu par l’UM6P à travers le programme APRD, son projet repose sur l’utilisation du MgH₂ pour concevoir des réservoirs innovants, plus sûrs, durables et économes en énergie.
Dans cet entretien exclusif accordé à Industrie du Maroc Magazine, il revient sur les avantages technologiques de cette solution, les perspectives concrètes de son industrialisation, et son rôle stratégique dans l’autonomie énergétique des pays africains.
Votre étude propose un réservoir innovant à base de MgH₂ pour le stockage solide de l’hydrogène. En quoi cette approche se distingue-t-elle des méthodes conventionnelles de stockage gazeux ou liquide sur les plans de la sécurité et de l’efficacité énergétique ?
Notre étude propose une méthode innovante de stockage de l’hydrogène sous forme solide, grâce à un matériau appelé MgH₂ (hydrure de magnésium). Contrairement aux méthodes classiques qui stockent l’hydrogène sous forme de gaz très compressé ou de liquide ultra-refroidi, notre solution fonctionne à pression modérée et température raisonnable. Cela signifie qu’il y a beaucoup moins de risques de fuite ou d’explosion, ce qui rend le système plus sûr à utiliser.

Autre avantage : cette technologie permet de stocker autant d’hydrogène que dans les réservoirs liquides, mais sans consommer autant d’énergie. Il suffit de chauffer légèrement le matériau (autour de 350 °C) pour libérer l’hydrogène, au lieu de devoir le refroidir à –253 °C comme dans le stockage liquide. C’est donc une solution plus simple, plus sûre et plus économe en énergie, bien adaptée à une utilisation dans des contextes industriels ou mobiles.
Vous avez opté pour l’intégration d’un diffuseur thermique en acier inoxydable avec un serpentin chauffant. Pourquoi ce choix technologique s’est-il avéré décisif dans l’optimisation des transferts de chaleur au sein du réservoir ?
Le choix d’intégrer un diffuseur thermique en acier inoxydable muni d’un serpentin chauffant s’est révélé décisif pour optimiser les transferts de chaleur au sein du réservoir, car il répondait à plusieurs exigences techniques essentielles. Ce dispositif permet d’assurer une répartition homogène de la chaleur dans l’ensemble du réservoir, ce qui évite la formation de zones froides susceptibles de ralentir la libération de l’hydrogène. De plus, il garantit une montée en température rapide et maîtrisée, facteur déterminant pour améliorer la cinétique de déshydruration du MgH₂, c’est-à-dire le processus par lequel l’hydrogène est extrait du matériau. Le recours à l’acier inoxydable s’impose également comme un choix judicieux sur le plan des matériaux : il offre une excellente conductivité thermique, une grande résistance à la corrosion et une parfaite compatibilité avec l’hydrogène, autant d’atouts qui assurent la durabilité et l’efficacité du système sur le long terme. En résumé, cette solution technologique répond aux impératifs de performance, de fiabilité et de sécurité, indispensables à toute application industrielle de stockage solide de l’hydrogène.
L’expérimentation a démontré un cycle rapide d’absorption et de désorption de l’hydrogène. Quelles sont les implications concrètes de cette performance pour une application industrielle à grande échelle, notamment dans les domaines de la mobilité ou des réseaux énergétiques ?
Notre réservoir permet de stocker et libérer l’hydrogène rapidement, ce qui est très utile pour certaines applications industrielles :
Dans le domaine de l’énergie, il peut servir à stocker l’électricité produite par le soleil ou le vent, puis à la restituer quand on en a besoin, ce qui aide à stabiliser le réseau électrique.
Pour les transports, même si le système fonctionne vite, les réservoirs sont encore trop lourds et volumineux pour les véhicules, donc mieux adaptés à des installations fixes.
Un autre avantage important : ces réservoirs sont plus durables que les batteries classiques, comme les batteries lithium-ion. Ils peuvent être utilisés plus longtemps, avec plus de cycles de charge et décharge. Même s’ils sont plus chers au départ, ils sont rentables sur le long terme pour des projets où la durée de vie et la fiabilité comptent.
En résumé, c’est une solution rapide, robuste et durable, idéale pour l’industrie et les réseaux d’énergie.

Vous avez collaboré avec plusieurs institutions et entreprises, notamment UM6P, Jomi-Leman SA et des laboratoires internationaux. Quel a été l’apport principal de cette synergie académique-industrielle dans la réussite du projet ?
Cette synergie entre les acteurs académiques et industriels a été déterminante dans la réussite du projet. Les partenaires, notamment l’UM5R, l’UM6P, l’UIR et Jomi-Leman, ont apporté une expertise technique et scientifique complémentaire, partagé des données stratégiques et assuré une formation ciblée à chaque étape du développement. Ce travail collaboratif structuré a permis de construire une approche rigoureuse, de valider les choix technologiques sur des bases solides, et de fluidifier l’avancement du projet en tirant parti des forces respectives de la recherche académique et des besoins industriels concrets. Cette collaboration a également renforcé le transfert de connaissances, la montée en compétence des équipes, et posé les bases d’une valorisation effective des résultats à moyen et long terme.
L’article évoque un potentiel de réplicabilité à l’échelle industrielle. Quelles seraient, selon vous, les conditions nécessaires (réglementaires, financières, techniques) pour passer de la démonstration à la commercialisation ?
Pour que cette technologie passe de l’expérimentation à un usage industriel à grande échelle, plusieurs conditions doivent être réunies.
D’abord, il faut prouver que le système fonctionne bien à grande échelle, de façon fiable et durable. Il est aussi important de mettre en place une production industrielle efficace et un service de maintenance fiable pour suivre les installations dans le temps.
Ensuite, il est essentiel d’avoir un cadre légal clair, avec des règles adaptées pour autoriser l’utilisation de l’hydrogène en toute sécurité (stockage, transport, etc.).
Du point de vue économique, le soutien financier est crucial. Les premiers déploiements coûtent souvent cher. Il faut donc pouvoir compter sur des subventions publiques, des partenariats privés ou industriels pour lancer la production et rendre la solution plus compétitive à long terme.
Mais surtout, ce type de réservoir joue un rôle central dans la chaîne de valeur de l’hydrogène : il sert de pont entre la production d’hydrogène (souvent à partir d’énergies renouvelables) et son utilisation dans des secteurs comme l’industrie, l’énergie ou les systèmes de secours. Il permet de stocker l’hydrogène au bon moment, puis de le restituer quand on en a besoin, ce qui améliore la stabilité et l’autonomie énergétique.
Enfin, une étude de marché est indispensable pour identifier les secteurs les plus intéressés par cette solution (par exemple les sites industriels isolés ou les réseaux d’énergie locale), et pour adapter l’offre aux besoins réels du terrain.
En résumé, pour passer à l’échelle industrielle, il faut une technologie fiable, des règles claires, des financements solides, et une bonne compréhension du marché. Ce type de réservoir a un rôle clé à jouer dans l’avenir de l’hydrogène.

À plus long terme, comment voyez-vous le rôle des matériaux comme le MgH₂ dans la transition énergétique mondiale, notamment en Afrique et dans le contexte de l’autonomie énergétique des pays du Sud ?
Le magnésium est un élément abondant sur Terre, présent notamment dans plusieurs régions d’Afrique, ce qui en fait un matériau potentiellement accessible localement. Cela lui confère un intérêt stratégique dans la perspective de renforcer l’autonomie énergétique des pays du Sud.
Sous forme d’hydrure (MgH₂), ce matériau représente une solution prometteuse pour accompagner le développement des énergies propres. Grâce à sa capacité à stocker l’hydrogène de façon sûre, durable et efficace, il peut jouer un rôle clé dans la mise en place de systèmes énergétiques plus résilients et décarbonés.
Cela permettrait de renforcer l’autonomie énergétique en Afrique, en particulier dans les zones isolées ou non connectées au réseau, tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles importées.
Cependant, pour rendre cette technologie accessible à grande échelle, il reste encore des efforts d’innovation à mener, en particulier pour réduire le coût de fabrication du MgH₂ activé. Aujourd’hui, les procédés restent complexes et coûteux lorsqu’ils sont déployés industriellement. Il est donc crucial d’investir dans la recherche pour simplifier les procédés, améliorer les performances du matériau et rendre cette solution plus abordable, notamment pour les pays en développement.
Propos recueillis par Rachid Mahmoudi.