La fusée Ariane 6 a marqué un tournant pour l’Europe spatiale en réussissant son premier vol commercial jeudi 6 mars. Elle a placé en orbite le satellite militaire CSO-3 pour le compte de la France, affirmant ainsi la souveraineté européenne dans ce domaine stratégique.
Le lancement s’est déroulé à l’heure prévue depuis le Centre spatial guyanais de Kourou. Après plusieurs reports, dont un avortement de dernière minute lundi, la fusée s’est élancée à 13h24 heure locale (16h24 GMT) sous un ciel pluvieux, disparaissant rapidement dans les nuages. Ce moment tant attendu a été suivi avec intensité par les équipes d’Arianespace et les officiels présents, bien moins nombreux que lors de la précédente tentative du 3 mars.
Dans la salle Jupiter, le soulagement était palpable lorsque la mise en orbite a été confirmée. « On ne pouvait pas rêver mieux, c’est un lancement parfait », s’est félicité David Cavaillolès, président exécutif d’Arianespace. « Nous avons désormais un lanceur fiable, au service des intérêts stratégiques de la France et de l’Europe. C’est une nouvelle ère pour le spatial européen. »
Une souveraineté spatiale renforcée
L’enjeu du lancement dépasse la simple mise en orbite d’un satellite. Il s’agit d’assurer l’indépendance de l’Europe en matière d’accès à l’espace, comme l’a souligné Cavaillolès : « Être souverain dans l’espace signifie pouvoir envoyer nos satellites, y compris militaires, sans dépendre d’aucune autre puissance. Aujourd’hui, nous avons prouvé que nous en sommes capables. »
Le satellite CSO-3, positionné à 800 km d’altitude, complète la constellation d’observation du ministère français de la Défense, optimisant ses capacités de renseignement. Sa mission nécessitait une précision extrême, expliquant une fenêtre de tir rigoureusement calculée.
Des obstacles surmontés
Le lancement d’Ariane 6 avait été retardé à plusieurs reprises. Initialement prévu en décembre, il avait été repoussé au 26 février, puis au 3 mars. Lundi, une anomalie détectée sur une vanne de 150 kg dans le circuit d’avitaillement avait contraint les équipes à annuler la tentative trente minutes avant le tir. Une décision prudente qui a permis d’identifier et de corriger le problème avant ce succès.
Un contexte géopolitique et industriel en mutation
L’Europe spatiale reprend ainsi son indépendance après avoir été privée de lanceur depuis le dernier vol d’Ariane 5 en 2023. La guerre en Ukraine a interrompu l’utilisation des fusées Soyouz russes, et la fusée légère Vega-C n’a repris ses vols qu’en décembre 2024 après deux ans d’arrêt. Pendant cette période, les Européens ont dû compter sur d’autres solutions pour l’envoi de satellites.
Face à la concurrence accrue de SpaceX, qui domine le marché avec des cadences élevées, l’Agence spatiale européenne ambitionne d’augmenter le nombre de lancements annuels d’Ariane 6, visant jusqu’à 12 tirs en 2025 contre cinq prévus pour l’instant. « L’Europe doit assurer sa propre sécurité », a rappelé Toni Tolker-Nielsen, directeur du transport spatial de l’ESA.
Avec cette réussite, l’Europe prouve qu’elle reste un acteur majeur du secteur spatial et entend renforcer son autonomie face aux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine. Ariane 6 ouvre une nouvelle page dans l’histoire de l’exploration spatiale européenne.