La Russie a accueilli, le 11 décembre dernier, le lancement de l’Alliance Internationale de l’Intelligence Artificielle, réunissant les nations des BRICS et d’autres partenaires internationaux (BRICS+AI). Parmi eux, la Federation of African Digital Business (FADB), présidée par Redouane El Haloui, également à la tête de l’APEBI, la Fédération marocaine des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring. Destinée entre autres à connecter des associations nationales sur l’IA et des institutions de développement du monde entier, l’alliance mise sur le développement collaboratif de l’intelligence artificielle. Quel rôle le Maroc peut-il jouer au sein d’une telle organisation ? Nous avons posé la question à Redouane El Haloui, qui nous éclaire sur les motivations et ambitions de l’entité qu’il représente.
C’est sur invitation à rejoindre et à participer au lancement de l’Alliance des BRICS pour le développement de l’Intelligence Artificielle que Redouane El Haloui, président par intérim de la Federation of African Digital Business (FADB) s’est joint à l’initiative. Cette fédération regroupe, aux côtés du Maroc, huit autres pays africains : le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la Guinée, le Nigeria et le Rwanda.
« J’ai été invité par les BRICS, via la Russie, qui avait la présidence cette année, pour rejoindre l’alliance AI international. J’ai donc consulté les membres fondateurs de la Fédération africaine, et ils ont accepté unanimement que nous participions. » explique-t-il.
Ainsi, la FADB a officiellement intégré l’Alliance Internationale de l’Intelligence Artificielle, impulsée par les BRICS, qui prévoit d’élargir ses membres, comme l’a précisé le Président russe, Vladimir Poutine, lors de son intervention à cette occasion.
En rejoignant cette alliance, l’APEBI, à travers la FADB, entend porter la voix du Maroc et de l’Afrique dans les instances mondiales autour de l’Intelligence Artificielle, en participant activement aux discussions sur le sujet. Selon Redouane El Haloui, cette démarche permet à la Fédération africaine d’affirmer un « positionnement stratégique à l’échelle internationale », notamment en nouant des accords aux quatre coins du monde.
En effet, comme l’explique son président, la Fédération marocaine des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring — qui est par ailleurs membre de l’alliance internationale des technologies de l’industrie aux États-Unis et vice-présidente de la Fédération arabe — vise à renforcer ses accords à l’international, notamment avec l’Europe, les États-Unis et l’Amérique latine.
Pour Redouane El Haloui, « c’est ce positionnement d’équilibre entre différentes forces internationales qui nous permet de démontrer notre neutralité. », soulignant qu’il « est important d’avoir la liberté du choix. »
Une alliance internationale de l’IA : Pour quoi faire ?
Les objectifs de la FADB, et plus singulièrement de l’APEBI, en prenant part à cette alliance sont multiples. Mais Redouane El Haloui insiste sur deux points qui sont, selon lui, essentiels : le référencement et l’éthique.
Pour expliciter son propos, il évoque l’expérience vécue avec une IA générative durant son séjour en Russie, qu’il a interrogée sur le Maroc et l’Afrique. Ce qu’il a constaté l’a interpellé. « Quand j’étais en Russie, j’ai fait l’exercice d’utiliser l’IA. Je lui ai posé des questions sur le Maroc et l’Afrique. Et ce n’est pas une question de puissance, parce qu’elle avait répondu sur des sujets techniques, qui étaient très intéressants. Elle est aussi forte que les autres IA. Mais j’étais intrigué par notre référencement et le niveau d’information qui n’était pas à la hauteur de ce que j’ai observé ailleurs. » raconte-t-il.
Poursuivant, il insiste sur la nécessité de référencer correctement les données africaines pour permettre à tous les utilisateurs d’IA d’avoir des informations fiables sur le continent : « Lorsque des utilisateurs russes, chinois ou brésiliens utilisent des IA, il faut qu’ils aient accès à la bonne information sur le Maroc et l’Afrique. Aujourd’hui, on commence à passer directement par l’IA, et on va de moins en moins sur Google pour chercher une information. Si nous ne sommes pas bien référencés, nous risquons, non seulement, de passer à côté d’opportunités, mais pire encore, d’être incompris, si notre culture, notre identité, notre expertise n’est pas bien retranscrite. ».
« Soyons des experts en utilisation d’IA »
À en croire Redouane El Haloui, l’Afrique, et particulièrement le Maroc, ne peuvent se permettre de rester en marge de la révolution de l’intelligence artificielle. C’est une occasion à saisir absolument pour le continent.
« Nous aussi, utilisateurs d’IA, devons avoir la capacité de savoir quelles sont les IA qui existent. Je veux aussi m’assurer qu’elles ont le bon niveau d’information, et savoir comment elles fonctionnent. », argumente-t-il.
Même s’il admet que le continent a pris du retard dans le domaine de l’IA, il demeure convaincu que le Maroc a une carte à jouer : « Il faut des centaines de milliards de dollars pour développer des IA. Ce sont des modèles mathématiques très puissants. Nous, nous sommes des consommateurs d’IA. Je discutais récemment avec un expert IA marocain qui me disait que nous sommes un pays qui est un expert en utilisation de l’IA et en application dans les différents domaines. » ajoute-t-il.
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« L’IA peut s’appliquer à différents modèles. Médical, éducation, industrie, gouvernance, sécurité. Il faut s’assurer de la bonne utilisation. Peut-être qu’on va se démarquer à l’échelle internationale comme un pays expert en utilisation de l’IA avec une manière de l’utiliser très profonde. À défaut d’être de bons fabricants ou concepteurs d’IA, soyons des experts en utilisation d’IA. »
« On est partie prenante pour évaluer le niveau d’éthique et de valeurs »
Parmi les raisons qui motivent l’implication de l’APEBI dans différentes instances, figure notamment la volonté de promouvoir l’éthique et les valeurs humaines dans l’IA, en mettant l’accent sur la perspective africaine.
« Aujourd’hui, nous sommes partie prenante pour évaluer le niveau d’éthique et de valeurs. Il faut que les utilisateurs d’IA aient accès à une information avec l’éthique, les valeurs humaines, avec notre point de vue. Nous avons un positionnement pour pouvoir exprimer notre vision de l’éthique et les valeurs humaines qui nous ressemblent en tant qu’Africains. C’est au-delà de la technologie. On est vraiment dans la réflexion du référencement de notre identité et de notre culture dans ces IA qui sont en train de monter en puissance. » déclare Redouane.
Selon lui, la Fédération africaine, qui regroupe en son sein des experts et des entreprises de l’univers technologique a un rôle important à jouer à ce niveau. « Nous savons les limites de l’IA et nous avons la chance de porter notre voix dans cette alliance internationale. »
Quid de la souveraineté numérique ?
A cette question, Redouane El Haloui se veut rassurant. Cet aspect est au cœur de toutes les actions de l’APEBI et de la FADB, notamment sur le sujet des intelligences artificielles : « La souveraineté numérique devient nécessaire. En revenant de Russie, je suis incapable de dire ce qu’il va se passer dans le futur, parce que ça va à une vitesse vertigineuse. C’est déjà bien que nous soyons sur place, mais c’est important aussi de voir comment valoriser notre secteur, nos industries, et faire une transformation digitale de nos entreprises, tout en restant souverain numériquement. »
« Quand on voit l’IA et la manière dont elle est utilisée, c’est un aspirateur d’informations personnelles. Moi, je veux une IA dans mon pays qui puisse être utilisée pendant qu’on s’assure que les données personnelles restent dans le pays. C’est pour protéger nos concitoyens. », poursuit-il.
Pour lui, il est nécessaire de garder la maitrise des informations: « Quand je parle du référencement, c’est pareil. Qu’est-ce qu’on veut référencer ? On ne va pas référencer les données médicales de nos concitoyens. On va plutôt référencer notre identité, notre culture, notre expertise, notre savoir-faire, notre économie, etc. sur des informations qui vont attirer des investisseurs, des touristes, pour développer ce que nous souhaitons promouvoir. »
Faire du Maroc un hub africain de l’IA et des technologies
L’APEBI souhaite également promouvoir le Maroc et l’Afrique sur la scène mondiale de l’intelligence artificielle.
« Le fait est qu’on ait été invite par les BRICS signifie que, quelque part, nous avons été repéré. C’est aussi pour cela que nous avons créé la Fédération africaine. C’est pour montrer que l’Afrique est un autre continent et que le Maroc se positionne comme un hub. » affirme-t-il.
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« En Russie, quand j’ai dit que l’APEBI représentait 8 pays africains, un brésilien, dont le pays est également membre de l’alliance, est venu me voir et m’a dit : « En fait, pour aller en Afrique, je dois passer par le Maroc. » Je n’ai pas eu besoin de lui dire que nous sommes un hub régional, africain. »
Pour y parvenir, Redouane El Haloui affirme que la clé réside dans la mise en place de véritables mécanismes de gouvernance, accompagnés d’un cadre réglementaire clair et solide, capable de rassurer les investisseurs et de garantir un développement structuré de l’écosystème numérique. Comme il le souligne : « Si nous ne mettons pas en place des organes de gouvernance, des organes de pilotage, on ne pourra pas se dire que nous sommes un hub. En se positionnant comme un hub, on pourra attirer les grands bailleurs de fonds. Parce qu’ils verront que nous avons un cadre juridique puissant, une réglementation poussée, et une vision stratégique du développement du continent africain. ».
A la question de savoir pourquoi la Federation of African Digital Business (FADB) a répondu favorablement à cette invitation, dans un contexte géopolitique en pleine évolution, Redouane El Haloui répond sans détour: « Nous, on ne ferme la porte à personne. Si les BRICS ont vu l’intérêt de nous inviter, nous acceptons. Si l’Europe monte une alliance et voit l’intérêt de nous y inviter, nous y répondrons favorablement. ».
Il explique ensuite que, bien que les pays africains ne disposent pas encore des capacités nécessaires pour initier des projets d’envergure mondiale dans les IA, ils doivent cependant suivre les évolutions internationales et s’impliquer, particulièrement dans le secteur privé.
« Nous ne sommes pas des universitaires, mais une Fédération africaine d’entreprises du numérique qui opère sur le terrain, qui utilise et développe des technologies et des solutions du marché. C’est pour ça que, pour nous, il est important de savoir ce qui se passe, et d’être positionnés. »
Désiré BEIBLO