Droits de douane de Trump: génie tactique ou bombe à retardement ? Avis d’expert

Donald Trump a récemment annoncé l’imposition de nouveaux droits de douane de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique, ainsi qu’une hausse de 10 % sur les produits chinois, tout en brandissant la menace de nouvelles taxes contre l’Union européenne, qui pourrait être sa prochaine cible.

Initialement prévues pour entrer en vigueur le 4 février, ces mesures ont été suspendues pour 30 jours en ce qui concerne le Canada et le Mexique, le temps d’ouvrir des discussions après de vives protestations. Mais leur application, si elle se confirme, risque de provoquer un véritable bouleversement économique. Pour comprendre les motivations de l’administration Trump et les conséquences potentielles de cette offensive protectionniste, nous avons interrogé Otaviano Canuto, Senior Fellow au Policy Center for the New South.

Pour M. Canuto, deux motivations principales pourraient expliquer ces nouveaux droits de douane, selon les objectifs poursuivis par l’administration Trump. La première est de nature transactionnelle, comme l’a décrit le secrétaire au Trésor, Scott Besant. “Les droits de douane sont établis et annoncés, mais en gardant à l’esprit une sorte de négociation avec l’autre partie concernant des objectifs parallèles.”

Comme l’explique l’expert, cette approche a déjà été observée lors du premier mandat de Trump, lorsqu’il a menacé le Mexique de tarifs douaniers pour obtenir un renforcement du contrôle des flux migratoires en provenance d’Amérique centrale à la frontière sud du Mexique. A cette époque, « le Mexique a promis, puis le président Amlo [Andrés Manuel López Obrador, NDLR] a promis, et ensuite Trump a pu annoncer un accord », rappelle Otaviano Canuto.

Pour lui, cette stratégie semble être la même s’agissant des récentes annonces du président américain vis-à-vis du Canada et du Mexique, avec une suspension temporaire des droits de douane en échange d’efforts accrus pour freiner les flux de personnes et lutter contre le trafic de fentanyl.

La seconde motivation possible, selon l’expert, est la volonté de réduire le déficit commercial des États-Unis, ce qui correspond au point de vue du conseiller Peter Navarro et des autres membres de l’équipe commerciale de Donald Trump qui estiment que “les pertes de comptes courants des États-Unis sont une sorte de cadeau offert par les USA, une subvention, comme M. Trump aime à l’appeler, au reste du monde. Et que cela nuit à l’économie américaine. »

Cette perspective reflète la vision de certains membres de l’équipe commerciale de Trump, qui considèrent les déficits courants comme préjudiciables à l’économie américaine. Ils voient en ces nouveaux tarifs douaniers un moyen de réduire le déficit commercial et le déséquilibre du compte courant que les États-Unis ont accumulés au cours des dernières décennies.

Coup de maître ou fausse bonne idée ?

Quelles que soient les motivations, ces hausses tarifaires risquent d’affecter négativement les relations commerciales et diplomatiques des États-Unis avec leurs principaux partenaires, estime M. Canuto.

« L’impact sera négatif en termes de confiance, d’engagement dans les négociations futures, etc. La position isolée du “Je suis le centre et vous devez vous subordonner à ce que je dis, à ce que je veux que vous fassiez comme condition préalable à l’allégement des droits de douane” n’augure rien de bon pour les négociations plurilatérales de toutes sortes », affirme-t-il.

Risques de répercussions pour les États-Unis

« L’offensive protectionniste de M. Trump va certainement se retourner contre les États-Unis eux-mêmes », avertit M. Canuto.

 « J’ai entendu un jour un représentant de M. Trump comparer ces guerres commerciales à des combats de boxe dans lesquels les deux parties reçoivent des coups, mais le vainqueur est celui qui résiste le mieux à ces coups. Dans une certaine mesure, il menace donc qu’au bout du compte, la douleur auto-infligée aux États-Unis soit bien moindre, en termes relatifs, que celle subie par l’autre partie. C’est une façon de voir les choses. Mais il est certain que les États-Unis eux-mêmes subiront des dommages. »

Conséquences pour les consommateurs américains

Les nouveaux droits de douane pourraient entraîner une hausse des prix des biens de consommation courante aux États-Unis, et contribuer ainsi à l’inflation. M. Canuto explique que “ces droits de douane, dans la mesure où ils sont confirmés et commencent à être appliqués, frapperont inévitablement les prix des biens de consommation et deviendront des chocs de prix.”

Il ajoute que cette situation pourrait également influencer la politique monétaire de la Réserve fédérale, qui pourrait hésiter à réduire les taux d’intérêt face à une inflation accrue.

« L’inflation vient s’ajouter à cela, mais l’augmentation des prix fera au moins hésiter la Réserve fédérale à maintenir le rythme de réduction des taux d’intérêt. Ainsi, selon que les chocs de prix commencent à contaminer les attentes en matière d’inflation, nous pourrions même assister, cette année ou l’année prochaine, à une hausse des taux d’intérêt de base, plutôt qu’à des baisses supplémentaires, comme tout le monde s’y attendait. »

Vers une guerre commerciale à grande échelle ?

« Si ces actions ne sont pas simplement des mesures de négociation et s’il s’agit effectivement de maintenir des droits de douane plus élevés, il y aura des représailles, des mesures de rétorsion », déplore Otaviano Canuto. Selon lui, ces actions protectionnistes, si elles persistent, pourraient déclencher une guerre commerciale. Il rappelle l’expérience des années 1930, où l’imposition de droits de douane aux États-Unis avait conduit à une guerre commerciale généralisée, contribuant à la Grande Dépression.

« Comme l’a dit M. Trump, il réagira à ces actions réciproques et nous pourrions avoir une véritable guerre commerciale. L’expérience de la guerre commerciale au niveau mondial ou international, nous l’avons eue dans les années 30. L’humanité a commencé par imposer des droits de douane aux États-Unis, puis ceux-ci se sont généralisés et nous avons connu une guerre commerciale mondiale qui, associée à l’impact de la crise financière, a conduit à la Grande Dépression. Le scénario pour l’économie mondiale en cas d’escalade est donc clairement à la baisse, avec un effet négatif sur la croissance économique », a-t-il déclaré, mettant en garde contre les risques d’un engrenage incontrôlable.

Reste à savoir si l’administration Trump maintiendra cette ligne dure ou si les négociations en cours permettront d’éviter une escalade.

Désiré Beiblo

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