Malgré un choc récessif sans précédent de l’économie mondiale en 2020, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays à avoir affiché une croissance économique de 2%, avec une balance commerciale excédentaire depuis près d’une décennie. Dans un entretien exclusif accordé à Industrie du Maroc Magazine, Souleymane Diarassouba, ministre du Commerce et de l’Industrie de ce pays, partenaire stratégique du Maroc sur le continent, lève un coin de voile sur les leviers de cette résilience, les nouveaux chantiers industriels et les opportunités d’investissement à saisir.

Le ministre en visite dans une unité de production de peinture

Industrie du Maroc Magazine : A la tête de ce département depuis 2018, comment présenteriez-vous succinctement l’industrie ivoirienne ?

Souleymane Diarrasouba : Je remercie les responsables du magazine Industrie du Maroc pour l’opportunité qu’ils m’offrent de me prononcer sur des questions relevant de l’évolution des secteurs de l’industrie et du Commerce, deux segments très importants de l’économie ivoirienne. C’est un réel plaisir d’en parler.

Pour répondre à votre question, il faut noter que la Côte d’Ivoire dispose d’un tissu industriel très varié avec plusieurs sous-secteurs, dont les performances, ces dernières années, ont été marquées par des taux de croissance appréciables, avec une bonne contribution dans le PIB national. Le secteur industriel ivoirien est structuré en 10 grandes branches réparties en 21 filières avec un total d’environ 8 500 entreprises comprenant de 50% d’industries manufacturières, 22% d’industries d’extraction, 21% pour les BTP et 7% pour l’énergie. Il emploie environ 900 000 personnes et les produits transformés comptent pour près de 60% des exportations.

Le ministre Souleymane Diarrassouba en compagnie du Premier ministre Patrick Achi, lors d’une visite de terrain dans un marché de la capitale économique

La Côte d’Ivoire n’a certainement pas été épargnée par la pandémie de la COVID-19. Quel a été l’impact sur la politique d’industrialisation de votre pays notamment en 2019 et 2020 ?

A l’instar de tous les pays du monde, la Côte d’Ivoire a connu son lot de désagréments suite à cette crise sanitaire, avec le premier cas enregistré le 11 mars 2020. L’ensemble des activités économiques a été durement impacté, notamment sur le plan commercial, cette pandémie a entrainé plusieurs difficultés liées entre autres, aux exportations, aux importations et à l’approvisionnement des marchés locaux

S’agissant du secteur industriel, selon une enquête de la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire, la pandémie a occasionné une baisse de l’activité économique annuelle de 26% par rapport à 2019 avec une destruction temporaire d’environ 23 000 emplois au cours du mois d’avril 2020 et la perte d’environ de 131 000 emplois à fin décembre 2020.

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Au cours de cette période, les acteurs du secteur industriel ont connu des difficultés monstres à s’approvisionner en matières premières, intrants et pièces de rechange, surtout ceux provenant des pays les plus touchés par la pandémie (Chine, Italie, Espagne, Iran, Allemagne, France, Etats-Unis …). Et pour ceux qui y parvenaient, il leur était difficile d’obtenir les documents visés nécessaires en raison des mesures de confinement. A cela, il faut ajouter la hausse des prix sur le marché, les ruptures de liquidité, puisque certains fournisseurs exigeaient d’être payés au comptant au regard de la situation d’incertitude, les contraintes logistiques au niveau des ports, aéroports et du transport terrestre avec pour conséquence la forte hausse des frais à l’import. Comme conséquence, l’enquête a observé la baisse du commerce intérieur causé par la difficulté de commercialisation des produits manufacturés, à l’exception des produits de grande consommation et des produits destinés à la lutte contre la propagation du Coronavirus ; le changement des modes de production pour répondre aux mesures et tendances nouvelles de l’urgence sanitaire ; la baisse de chiffre d’affaires pour certaines entreprises avec pour corollaire la perte d’emplois

Ces difficultés ont eu un impact direct sur l’activité industrielle qui s’est traduit par un repli des activités du secteur secondaire. Ainsi, on note au niveau de l’Indice Harmonisé de Production Industrielle (IHPI), un fléchissement de 1,3% de la production au niveau des « industries manufacturières » sur les onze premiers mois de 2020 en lien avec la régression des activités des « industries agro-alimentaires » (-6,0%), des « industries textiles et d’habillement » (-5,8%) et des « industries de transformation de produits pétroliers » (-8,0%).

L’impact de ces contractions a été toutefois atténué par la progression des « industries métalliques » (+26,9%) et des « industries chimiques, pharmaceutiques, du caoutchouc et du plastique » (+8,1%). Au niveau des « industries de transformation de produits pétroliers », la production de produits pétroliers a accusé un reflux de 10,1%, moins prononcé que celui de -12,5% observé à fin novembre 2020.

Le ministre Souleymane Diarrassouba en visite dans une usine du pays

Il s’agit aujourd’hui pour vous de relancer la machine industrielle. Comment votre pays compte s’y prendre ?

L’industrie ivoirienne présentait une bonne performance avec de meilleures perspectives avant cette crise sanitaire. En effet, en 2019, la part de l’industrie dans le PIB était de 21,2% dont 10,9% pour l’industrie manufacturière. Le secteur a enregistré une augmentation annuelle moyenne de 22 % du flux d’IDE sur la période 2011-2017. La part du secteur manufacturier dans la création d’emploi est passée de 5,4% en 2012 à 9,1% en 2017 et la création de valeur ajoutée dans le secteur secondaire s’était améliorée entre 2016 et 2019, passant de 5,3 % à 11,5%.

Sur cette période, les sous-secteurs dont les parts dans le PIB ont enregistré des hausses sont l’énergie et le BTP, du fait des grands travaux, du bâtiment et de la mise en exploitation du barrage de Soubré. Ainsi, la part de l’énergie dans le PIB est passée de 1,1% en 2016 à 2,7% en 2019 et celle des BTP est restée constante à 3,7% après 2016.

Pour juguler la crise et amorcer la relance, le Gouvernement a adopté en avril 2020 un plan de riposte visant à redynamiser l’économie de notre pays, dénommé plan de soutien économique, social et humanitaire de 1700 milliards de FCFA, soit environ 5% du PIB. Décliné en trois principaux axes à savoir, (i) des mesures de soutien aux entreprises, (ii) des mesures d’appui à l’économie et (iii) des mesures sociales en faveur des populations, ce plan avait pour objectif d’atténuer l’impact de la pandémie sur les populations et les acteurs économiques des secteurs formels et informels. Il visait également à préparer une reprise rapide des activités à la fin de la pandémie, à maintenir l’activité économique, à soulager la trésorerie des entreprises et à préserver l’emploi.

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S’agissant des mesures de soutien aux entreprises, cela s’est traduit par des fonds de soutien, de garantie et d’appui pour un montant cumulé de 350 milliards de FCFA. L’Etat a également soutenu les principales filières de l’économie nationale, notamment l’anacarde, le coton, l’hévéa, le palmier à huile, le cacao, le café, pour un montant de 250 milliards de FCFA, et la production vivrière, maraichère et fruitière pour un montant de 50 milliards de FCFA.

Certaines autres mesures fiscales ont également été prises dans la foulée. Parmi elles, on peut relever l’exonération des droits et taxes sur les matériels sanitaires entrant dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, l’annulation des pénalités de retards dans le cadre de l’exécution des marchés et commandes publics avec l’État et ses démembrements, le remboursement des crédits TVA sous un délai de deux semaines, ainsi que le paiement de la dette intérieure, priorité faite PME et les TPE ;

Ces différentes mesures ont permis à la Côte d’Ivoire de terminer 2020 sur une croissance économique de 2%. Une performance relativement rare tant en Afrique que dans le monde, et qui illustre la forte résilience de l’économie ivoirienne ainsi que l’efficacité des plans de riposte et de relance économique mis en œuvre par le Gouvernement.

L’inclusion féminine dans l’emploi industriel, une préoccupation pour l’Etat ivoirien

Quelle est la configuration présente du secteur industriel ivoirien ?

L’industrie constitue l’essentiel du secteur privé formel en Côte d’Ivoire et est ainsi structurée : industries agroalimentaires et tabac (32,1%), industries extractives (18,7%), industries pétrolières, chimiques et caoutchouc, plastiques (15,1%), industries du bois et meubles (14,9%), électricité, gaz et eau (6,6%), fabrication de machines et matériels de tous types (4,3%), industries du papier, carton et édition, imprimerie (3,3%), industries textiles et cuir (2,4%), industrie du verre, de la céramique et des matériaux de construction (2,2%), industries métalliques (0,3%).

Comme vous pouvez le constater, les principales activités industrielles résident dans le secteur de l’agro-alimentaire dont la part dans le PIB hors boisson et tabac) est estimée à 4,1% en 2020 et représentant 19,2% de la valeur ajoutée du secteur secondaire.

Cette branche agro-alimentaire est largement diversifiée et repose essentiellement sur les produits du cacao, du café, l’industrie des oléagineux, les produits laitiers, les produits à base de fruits et légumes, les boissons, les produits de la viande et du poisson, les produits du travail des grains et produits amylacés, le tabac, le sucre, la boulangerie, la pâtisserie et pâtes alimentaires. Plusieurs entreprises, dont des filiales de multinationales, se partagent ce marché très porteur. Toujours dans ce registre de l’agro-industrie nous avons les principales filières que sont le Cacao dont nous sommes leader mondial de longue date dans la production et nous nous positionnons de plus en plus dans la transformation. En 2020, nous avons ainsi transformé 28% des fèves produites localement. Nous avons aussi le Café pour lequel nous avons initié un programme de relance de la filière qui a permis de passer à une production de 86 335 tonnes en 2016 à 119 610 tonnes en 2020, soit un rebond de 22,5% en 2020 avec un taux de transformation à 10% à cette échéance.

Souleymane Diarrassouba en séance de travail avec Ngozi Okonjo-Iweala, directrice de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

Il y a également l’anacarde dont nous sommes également leader en termes de production, avec une transformation estimée en 2020 à 13,37% contre 9,1% en 2019, l’hévéa pour lequel notre niveau de production de 720 000 tonnes en 2018 correspondait au 6e rang mondial, et la filière coton/textile qui a enregistré un volume de 559 483 tonnes pour la saison 2020-2021. Le gouvernement vise respectivement pour la graine et la fibre de coton, des taux de transformation de 100% et 40% contre 27% et 11% en 2020.

Outre ces filières agro-industrielles, la Côte d’Ivoire compte d’autres filières industrielles dans lesquelles des performances ont été enregistrées, à l’exemple du ciment qui a connu sur le quinquennat 2015 – 2020, plus de 400 milliards CFA d’investissement. Ce qui a permis de passer sur cette période de 4 à 13 opérateurs, multipliant par cinq la capacité de production qui, elle, a varié de 3,2 millions de tonnes à 16,25 millions de tonnes, soit une hausse de 408% en cinq (5) ans.

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Il faut par ailleurs noter que le développement du tissu industriel a été accéléré grâce aux importantes réformes entreprises par le Gouvernement pour développer les infrastructures industrielles. Ces réformes ont permis d’accroitre la disponibilité des infrastructures industrielles modernes dans notre pays en mettant en œuvre un programme à deux (2) volets à savoir la réhabilitation des zones industrielles d’Abidjan et le développement de nouvelles zones.

Ainsi, concernant la réhabilitation des zones industrielles, on note la réhabilitation des trois (3) zones industrielles de la ville d’Abidjan, notamment la zone industrielle de Yopougon (469 ha) pour un coût de 25 milliards de FCFA environ, et celles de Koumassi (120 ha) et Vridi (120 ha) dont les études techniques ont été réalisées pour un montant de 34,7 milliards de francs CFA hors coût de déplacement de réseaux.

S’agissant de l’aménagement de nouvelles zones, on note l’aménagement progressif de la zone industrielle d’Abidjan dénommée « ZI Akoupé-Zeudji PK-24 » totalisant 940 ha bordant l’autoroute du Nord. Dans un souci de déconcentration d’autres zones sont ciblées à l’intérieur du pays : Bonoua, Yamoussoukro (250 ha). Nous allons aménager des parcs industriels pour la transformation de l’anacarde à Korhogo (25 ha), Bondoukou (15 ha), Séguéla (15 ha), et Bouaké (15 ha) pour un coût total estimé à 36 milliards de FCFA.

Souleymane Diarrassouba en visite dans une usine de fabrication de gel hydroalcoolique

Quel bilan faites-vous de l’investissement industriel sur les dernières années et comment entrevoyez-vous le dispositif incitatif pour le booster ?

Concernant les IDE dans le secteur industriel, il convient d’indiquer qu’entre 2018 et 2020, environ 178,1 milliards FCFA ont été enregistrés, générant plus de 1.000 emplois permanents.

Les principales filières concernées par ces investissements sont l’agro-industrie, la cimenterie, la chimie et plasturgie. Et les incitations que l’Etat offre font l’objet d’un code d’investissement régulièrement révisé. Ainsi la dernière révision intervenue en 2019 a rendu plus attractive qu’auparavant la destination Côte d’Ivoire avec des avantages douaniers et fiscaux ouverts à tous investissements quel que soit le pays d’origine des capitaux ; l’objectif étant d’encourager les opérateurs économiques à créer davantage de valeur ajoutée à notre industrie locale.

Entre autres incitations, relevons l’exonération des frais douaniers et la suspension temporaire de la TVA lors de l’importation des équipements ou des achats locaux, l’exonération des impôts BIC, de la patente, de l’impôt foncier sur une durée allant de 5 à 15 ans en fonction de la zone d’implantation. Toutes ces mesures représentent un atout très attractif pour l’investissement privé surtout au niveau du secteur industrie.

De plus, nous accordons des avantages supplémentaires pour les investissements dans les filières considérées prioritaires, particulièrement l’Anacarde et de l’Hévéa. Là, une exonération totale de la TVA est faite sur les équipements, les pièces de rechange, les services, les frais d’étude, de suivi, d’assistance et de montage de dossier. En outre, un crédit d’impôt allant jusqu’à 75% du montant de l’investissement est accordé aux entreprises comptant dix (10) ans d’activité, et imputable sur l’impôt sur le bénéfice, la contribution sur les patentes et licences, l’impôt sur le patrimoine foncier, la TVA et la contribution à la charge de l’employeur.

Un crédit d’impôt additionnel de 5% du montant d’investissement est accordé à tout investisseur qui ouvre son capital social à des Ivoiriens à hauteur de 40% au minimum.

Retrouvez la suite dans le N°67 d’Industrie du Maroc Magazine en Kiosque dès le 15 février …

Entretien réalisé par la Rédaction d’IDM Magazine

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