Le 26 novembre dernier, Casablanca a accueilli la première édition du Forum Marocain de l’Emploi et de la Compétence, un rendez-vous qui a rassemblé experts, décideurs et professionnels autour des grands défis de l’employabilité. Parmi les moments forts de cette journée, la troisième table ronde s’est penchée sur un thème crucial : le développement de la formation pour un marché en mutation. Sous la direction d’Omar Layachi, modérateur de la session, cet échange a réuni plusieurs experts, dont Mehdi Sebti, directeur de l’École Arts et Métiers (Campus de Rabat), Amine Bennis, CEO de Gibraltar Consulting, et Ouadih Dada, journaliste et formateur. Les débats ont abordé plusieurs axes essentiels pour comprendre les enjeux actuels et futurs du système de formation au Maroc.
Dès l’introduction, le ton était donné : Face à l’évolution rapide des métiers et l’émergence de nouveaux secteurs, il devient impératif de repenser les approches éducatives pour les rendre plus agiles et mieux alignés sur les besoins des entreprises. Ce constat, partagé par tous les participants, a servi de point de départ à une discussion approfondie sur les mutations en cours. Entre industrie, monde académique et conseil, les intervenants ont proposé des pistes concrètes pour aligner l’offre de formation sur les réalités économiques actuelles et futures. Trois sous-thèmes majeurs ont structuré cet échange : l’alignement de la formation aux mutations technologiques, le rôle des soft skills dans un monde complexe et l’importance des langues et de l’intelligence artificielle dans l’éducation.
Une avalanche technologique qui bouscule les modèles éducatifs
Mehdi Sebti, directeur de l’École Arts et Métiers de Rabat, a choisi une métaphore évocatrice pour décrire ces transformations : une avalanche technologique. « Nous vivons une révolution industrielle permanente. Après la digitalisation et l’automatisation, la cinquième révolution industrielle est déjà à nos portes. Pour y faire face, les entreprises doivent soit investir massivement dans la montée en compétences de leurs équipes, soit redéfinir entièrement leurs stratégies de recrutement. » Selon lui, cette urgence exige une réponse éducative adaptée, où la formation ne se limite pas à la transmission de savoirs académiques, mais devient un véritable levier d’opérationnalité.
Dans cette optique, son établissement a adopté un modèle innovant, baptisé l’usine-école. Ce concept propose une immersion directe des étudiants dans des environnements simulant les réalités industrielles. « Aux Arts et Métiers, nous croyons que la formation doit être pratique et concrète. Nos élèves travaillent sur des plateformes technologiques qui les placent immédiatement au cœur des problématiques de l’industrie. Ce modèle, basé sur l’apprentissage par l’action, est essentiel pour répondre aux attentes des entreprises. » Mais Sebti va plus loin : pour lui, l’avenir de l’éducation passe par une plus grande implication des étudiants eux-mêmes dans la gestion des établissements, à travers des conseils de formation et de recherche où leur voix est entendue.
Soft skills : une priorité dans un monde incertain
L’intervention d’Amine Bennis, CEO de Gibraltar Consulting, a élargi le débat en mettant l’accent sur une dimension souvent sous-estimée dans les formations : les compétences humaines. Selon lui, dans un monde professionnel de plus en plus marqué par l’incertitude, les qualités relationnelles et comportementales jouent un rôle déterminant. « La résilience, l’adaptabilité, la communication ou encore le leadership sont aujourd’hui des critères incontournables pour les recruteurs. Nous vivons dans un environnement que certains appellent VUCA : volatil, incertain, complexe et ambigu. Dans ce contexte, savoir naviguer dans la complexité est devenu aussi important que la maîtrise des outils techniques. »
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Bennis a partagé son expérience dans l’accompagnement des entreprises, soulignant que ces compétences humaines, souvent qualifiées de « soft skills », permettent non seulement d’améliorer la productivité, mais surtout de fédérer les équipes dans un monde de travail en mutation rapide. « Les entreprises ont compris que la technique ne suffit pas. Ce sont les individus capables d’inspirer et de fédérer qui tirent véritablement les organisations vers le haut. »
L’apprentissage continu comme clé de l’employabilité
Ouadih Dada, journaliste et formateur, a pour sa part adopté une approche plus introspective, axée sur l’attitude des jeunes, face au marché du travail. Avec son style direct et empreint d’anecdotes personnelles, il a mis en garde contre une perception trop limitée de l’éducation. « Trop de jeunes pensent qu’un diplôme leur ouvre toutes les portes. C’est une illusion. La réalité, c’est que le diplôme ne représente qu’un ticket d’entrée. Pour réussir, il faut adopter une démarche d’apprentissage continu et sortir de sa zone de confort. »
Dada a également abordé un sujet sensible : la transition linguistique chez les jeunes Marocains, de plus en plus tournés vers l’anglais au détriment du français. Selon lui, ce débat, bien que légitime, détourne souvent l’attention des véritables enjeux. « La langue n’est qu’un outil. Ce qui compte, ce sont les idées. Que l’on s’exprime en français, en anglais ou en darija, l’essentiel est de proposer des solutions et de contribuer à l’innovation. » Une position partagée par Sebti, qui a rappelé que l’anglais est déjà intégré dans les cursus de son école, tout en défendant l’idée d’un multilinguisme comme une richesse à préserver.
Entreprises et écoles : vers des partenariats stratégiques
La table ronde a également permis de mettre en lumière le rôle stratégique des partenariats entre écoles et entreprises. Sebti a expliqué que son établissement multiplie les conventions avec les fédérations industrielles, afin de co-construire des programmes pédagogiques alignés avec les besoins du marché. « Les entreprises doivent être pleinement impliquées dans la définition des cursus. Elles doivent aussi co-investir dans la formation, notamment en fournissant des équipements ou en accueillant des stagiaires. Cette collaboration est essentielle pour créer des ponts entre le monde académique et celui de l’industrie. »
De son côté, Bennis a mis en avant les secteurs clés qui recrutent actuellement, citant l’automobile, l’aéronautique et les énergies renouvelables comme des moteurs de l’emploi au Maroc. Mais il a aussi rappelé que les entreprises recherchent des profils expérimentés, capables de s’intégrer rapidement dans des environnements exigeants. « La montée en compétences est une priorité nationale. Le Maroc vit un véritable miracle industriel, mais ce miracle ne pourra durer sans un effort massif pour accompagner cette transformation par la formation. »
Vers une vision ambitieuse et collective
Au terme des échanges, un constat s’est imposé : le Maroc dispose d’atouts uniques pour relever les défis du marché de l’emploi, à condition d’adopter une vision ambitieuse et collective. Les intervenants ont tous souligné l’importance de l’innovation, de la collaboration et de la valorisation des talents pour construire un avenir durable. Si les défis sont nombreux, les solutions proposées lors de cette table ronde témoignent d’une volonté commune de faire de la formation un levier stratégique au service du développement économique.