Mouhsine LAKHDISSI: PhD. Eng.
International Consultant, Digital Expert, Entrepreneur, Professor and Keynote Speaker

Propos recueillis par : Asmae BOUKHEMS

Les métiers d’ingénieurs ont été boulversés par l’avènement de l’ère des services et technologies, une mutation qui a changé aussi la cartographie des cursus d’enseignement supérieurs, et presque tous les écosytèmes.

Dans cette interview, le spécialiste Docteur Mouhsine LAKHDISSI nous rapproche de manière fine et pertinente des réponses aux questions épineuses de la formation et emploi au Maroc, ainsi que des opportunités de développement national et régional offertes par les métiers émergeants du 21ème siècle.

IDM : Commençons par votre spécialisation, comment évaluez-vous en termes de formation et création de l’emploi la performance du Maroc dans les métiers de services et technologies ?

La formation des ingénieurs et des spécialistes dans les domaines de la technologie et notamment celle du digital est à l’image des autres disciplines d’enseignement : Une base qui reste solide dans les sciences et les mathématiques ce qui permet aux lauréats marocains d’être compétitifs à l’international, mais couplée à des programmes, des structures et du personnel dépassé car la vision dans le domaine de l’enseignement et l’enseignement supérieure reste faible et la langue d’étude (le français) tire vers le bas. Je crois qu’une vraie révolution du système et de l’écosystème de l’enseignement est nécessaire pour accroître l’employabilité mais aussi construire les valeurs de citoyenneté, de service public et d’entrepreneuriat chez les jeunes. Le Maroc peut aujourd’hui se positionner en leader dans certains secteurs mais il a choisi la facilité de créer des emplois pour caser les jeunes désœuvrés à travers l’encouragement de l’offshoring à faible valeur ajoutée.

IDM : Quels sont les principaux métiers émergent au Maroc à votre avis ?
Le Maroc obéit à la loi du marché et vois se transformer fondamentalement les métiers grâce ou à cause du digital. Des métiers sont en train de disparaître alors que d’autres se créent. Nous assistons à un bouleversement du secteur de l’emploi. Les jeunes fuient de plus en plus le fonctionnariat vers le privé et la logique de CDI est en train de céder sa place progressivement à des formes d’emploi plus libres mais plus vulnérables. On voit de plus en plus de jeunes travailler en freelance et dans des modes de travail remote (à distance) notamment dans des domaines comme le Digital, le design, l’art et le marketing. Parmi les nouveaux métiers crées par la transformation digitale, on note les métiers liés à la Data Science et à l’intelligence artificielle ainsi que ceux en relation avec le Bitcoin et la Blockchain.

IDM : Comment expliquez-vous la récente vague d’immigration d’ingénieurs marocain vers l’étranger ? et que faut-il faire pour y remédier ?
La vague de migration des ingénieurs et cadres marocains vers d’autres cieux n’est pas nouvelle mais reste particulièrement agressive. Il est tout à fait naturel que des cadres cherchent à s’épanouir, améliorer leur situation et apprendre plus ailleurs sauf que cette récente vague implique des cadres déjà bien établis, des cadres qui sont rentrés il y a quelques années au Maroc et concerne même des startups qui ont -face aux blocages nationaux- ont préféré aller à des horizons plus cléments. Cette récente vague reflète également une insatisfaction plus accrue des cadres de ce qu’offre notre pays comme opportunités, services publics, égalité des chances et surtout vision d’avenir et programme sociétal. Cette migration est accompagnée souvent d’un sentiment de désespoir et de désarroi envers son pays ce qui la rend plus grave. Je crois qu’il faut commencer par éduquer et inculquer le sens de la citoyenneté et l’appartenance aux jeunes tout en renforçant l’initiative libre et l’environnement compétitif pour créer la valeur. Cela dit le problème n’est pas près de se résorber si nous ne passons pas à une vision pays partagée et assumée avec un système économique et sociale basé sur la confiance, la méritocratie, l’égalité des chances et l’encouragement des initiatives.
IDM : Est-ce que l’ingénierie industrielle en termes de formations et compétences actuelles est corrélée avec le plan d’accélération industrielle ?

Le plan d’accélération industrielle est un plan ambitieux pour développer le tissu industriel marocain. Un effort a été fourni pour certains secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique avec des filières adaptés notamment au niveau de la formation professionnelle mais d’autres efforts sont à déployer notamment pour les problématiques et métiers de l’industrie 4.0.
IDM : A quel point ont contribué et comment le peuvent plus les plateformes d’offshoring, comme les nearshores et technopark, à la régionalisation de la création d’emploi ?
Les plateformes d’offshoring sont un prérequis pour développer des tissus économiques régionaux cohérents avec les stratégies pays et avec les nouveaux enjeux économiques. Leur contribution est claire dans certaines régions et doivent être renforcés par les mesures de régionalisation avancés et de déconcentration.
IDM : Comment le Maroc peut saisir les opportunités offertes par les nouveaux métiers du siècle ne nécessitant que le savoir et compétence humaines (Big data, intelligence artificielle, …) ?
Nous avons au Maroc un potentiel extraordinaire et une richesse fondamentale qui est notre jeunesse pleine d’élan et avide de savoir et d’opportunités. Il faudrait la préserver, l’orienter et lui faire atteindre son plein potentiel. Ces opportunités nécessitent un effort d’anticipation, d’orientation et de libération des initiatives tout en acceptant l’apprentissage par l’essai et l’échec. Saisir ces opportunités implique non seulement une stratégie, des actions concrètes envers les jeunes mais également une confiance envers eux pour leur ouvrir les portes pour accéder aux postes de responsabilités et donc plus globalement un changement de mindset et de culture. Nous ne pouvons pas attaquer les problématiques et les métiers du futur par les générations et les méthodes du passé.
IDM : Les craintes d’ordre morale vis-à-vis des nouvelles inventions vous semblent-elles de réels risques ?
Je crois que des risques réels existent que des réglementations et du contrôle sont nécessaire mais je suis également convaincu que l’humanité sait s’adapter aux changements et sait transformer les risques en opportunités.
IDM : M. Mouhsine, la diversité de votre carrière est marquée aussi par un fort engagement associatif, parlez-nous de cette expérience et de vos conseils aux ingénieurs marocains à propos
Je dois dire que le pays nous a tant donné. Que j’ai eu la chance de côtoyer des gens qui donnent et se donnent à fond sans rien attendre en retour. Je ne fais que perpétuer. Jean Jaurès disait « être fidèle au foyer des anciens ce n’est pas d’en conserver les cendres mais d’en transmettre la flamme ». Cette flamme associative et de service public ou civil est une preuve de la vivacité d’une communauté et d’une nation. Il faut dire en outre qu’on ne donne pas sans recevoir et que des fois un sourire sur la bouche d’un enfant ou un témoignage de satisfaction et de remerciement est une récompense inégalable.
IDM : Sur votre profil Facebook, on constate une composante spirituelle centrale dans votre personnalité, que dites-vous de l’importance de la spiritualité pour les ingénieurs dans le monde d’aujourd’hui ?
Le monde d’aujourd’hui est difficile, stressant, changeant et des fois, effrayant. Nous avons la chance de vivre dans une période extraordinaire pour l’humanité. Mais cette ère est également caractérisée par une perte de repères. La spiritualité et la proximité avec Dieu nous permet de répondre à des questions fondamentales comme : Pourquoi nous sommes créés ? Quel est notre devenir après la mort ? Quelles doivent être nos priorités et comment garder l’équilibre entre le personnel et le professionnel, le privé et le public, cette vie et la vie d’après. La spiritualité donne du sens à la vie et permet d’orienter ces efforts et de maintenir une relation d’harmonie avec les autres, la nature et le monde. Des valeurs de beauté, de bonté et d’amour sont nécessaire pour équilibrer notre existence et orienter notre action et cela peut se faite avec l’invocation de Dieu et l’amour pour Dieu, pour les prophètes et les gens vertueux. Je conseille fortement aux ingénieurs, cadres et entrepreneurs de développer leur spiritualité pour mieux s’épanouir dans l’équilibre et mieux faire face aux challenges de notre ère.

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