Loïc Jaegert-Huber est Directeur Régional d’ENGIE Afrique du Nord et Président de la Commission Energies propres de l’ASMEX, l’Association Marocaine des Exportateurs. A l’occasion de l’entrée en vigueur de la taxe carbone européenne dimanche dernier, il analyse pour Industries du Maroc Magazine les enjeux de cette nouvelle taxe, ce qui change pour les exportateurs marocains et les opportunités du Maroc dans la course à la décarbonation.
- La taxe carbone européenne est entrée en vigueur le 1er Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette taxe, et ce qu’elle change concrètement ?
Ce qu’on appelle la taxe carbone européenne est en fait le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), ou Carbon Border Adjustment Mechanism (CBAM). Ce dispositif a été adopté fin 2022 par la Commission européenne dans le cadre du « Green Deal », un ensemble d’initiatives visant à atteindre la neutralité carbone et lutter contre le changement climatique.
L’Union européenne étend ainsi ses normes environnementales aux entreprises exportant sur son territoire, pour qu’elles paient indirectement le prix de leurs émissions de gaz à effet de serre. La taxe va s’articuler en trois phases. Une première phase de transition a débuté dimanche : pour l’instant, les importateurs doivent seulement déclarer les émissions carbones des produits importés. C’est seulement à partir de la deuxième phase, qui commencera en 2026, que les importateurs payeront ces émissions carbones.
Enfin, ce dispositif pourra être étendu à d’autres catégories de biens dès 2034. Ce dispositif est donc progressif, mais il faut s’y préparer dès maintenant !
- Quelles sont les implications de cette taxe pour le Maroc ?
Pour l’instant, les principaux secteurs concernés sont le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité et l’hydrogène. La taxe affectera assez peu les exportations marocaines dans un premier temps, et touchera en grande majorité le secteur des engrais. Néanmoins, 65% des exportations marocaines sont à destination de l’Union européenne : le marché européen est donc plus qu’essentiel pour le Maroc. De plus en plus de secteurs seront concernés et demain se prépare dès aujourd’hui.
Cette nouvelle taxe entraînera un surcoût pour les biens importés soumis à la taxe, ce qui va inciter les entreprises à décarboner les biens et produits qu’elles exportent.
Si nous ne nous adaptons pas rapidement, cette mesure va freiner les échanges, et donc entraîner un manque à gagner pour les exportateurs marocains. Les entreprises et des secteurs entiers pourraient être à terme en difficulté, ce qui aura des conséquences très négatives sur l’économie marocaine dans son ensemble, notamment sur les emplois.
ENGIE a justement une longue expérience dans l’accompagnement de la décarbonation, surtout au Maroc où nous sommes déjà un partenaire incontournable de sa transition énergétique. Cet engagement quotidien fait partie de l’objectif d’ENGIE d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2045, pour nous comme pour l’ensemble de nos clients.
- Comment le Maroc et ses entreprises peuvent-il se positionner dans ce nouveau contexte ?
Ce raisonnement est sûrement contre-intuitif, mais la taxe carbone européenne est une chance pour le Maroc : le Royaume peut en tirer de nombreux avantages grâce à son énorme potentiel !
Les entreprises doivent avant tout saisir cette opportunité pour faire de leur décarbonation un levier d’attractivité et de compétitivité, tout comme pour renforcer leurs stratégies d’exportation.
Ce dispositif doit également inciter le Maroc à décarboner son économie, ce qui va permettre de renforcer sa croissance économique, son attractivité, et donc sa souveraineté. Ces changements profonds vont créer des emplois tout au long de la chaîne de valeur et favoriser le développement économique régional. Le Royaume pourrait même gagner des parts de marché, et développer ses partenariats commerciaux en se positionnant comme un hub incontournable entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe.
- Au vu de ce potentiel plus que prometteur, quels sont les défis que le Maroc doit encore relever pour s’adapter à cette taxe et réussir sa décarbonation ?
En effet, des efforts sans précédent restent encore à accomplir pour que le Maroc réalise pleinement son potentiel et atteigne la neutralité carbone.
En premier lieu, les entreprises marocaines, et pas seulement les exportateurs, doivent repenser leur business model en décarbonant leurs chaînes de valeur technologiques et industrielles.
Les possibilités sont nombreuses, et ENGIE a le savoir-faire pour proposer des solutions durables, innovantes et adaptées à tous les besoins. La force d’ENGIE, leader mondial de l’énergie, repose sur son approche systémique : nous sommes présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle et technologique, au travers des énergies renouvelables bien sûr, mais aussi des réseaux et des grandes infrastructures.
Par ailleurs, le Maroc ne pourra pas devenir un leader de la décarbonation sans une stratégie globale de décarbonation. Le Royaume doit notamment soutenir les secteurs affectés par la nouvelle taxe et favoriser l’émergence des certifications bas-carbone.
Enfin et surtout, la décarbonation nécessite d’accélérer la transition énergétique en développant massivement les énergies renouvelables. C’est la mission quotidienne d’ENGIE : nous opérons actuellement au Maroc et en Afrique du Nord de nombreux projets d’énergies renouvelables pour produire une énergie verte, abordable et accessible à tous.
ENGIE conserve ainsi des objectifs ambitieux pour permettre au Maroc de réaliser pleinement son potentiel, et de surmonter les défis de sa décarbonation.