La crise actuelle due au Covid 19 a permis de prendre conscience de l’urgence de la transformation digitale, mais également de la capacité de notre pays à la réussir. A cet effet, l’Alliance des économistes istiqlaliens propose une série de 12 mesures-phares, au profit de quatre domaines stratégiques, à même de permettre au Maroc de poursuivre de manière volontariste sa transformation digitale, pour préparer et protéger l’avenir de notre économie et de nos emplois.
AXE 1 : GARANTIR LES PREREQUIS INSTITUTIONNELS, RH ET TELECOM NECESSAIRES A UNE TRANSFORMATION DIGITALE PORTEUSE D’EMPLOIS ET DE CROISSANCE
Pour réussir la transformation digitale en gestation, l’AEI appelle le gouvernement à veiller à la préparation de 3 catégories de préalables :
1- Former les ressources humaines et préparer les utilisateurs à travers :
- Un large programme de formation et de reconversion de jeunes diplômés à la programmation pour se préparer aux besoins croissants du marché en la matière ;
- La sensibilisation du citoyen par des campagnes de communication permettant de dissiper les appréhensions et instaurer la confiance numérique ;
- L’accompagnement des entreprises dans leur digitalisation, notamment à travers des incitations financières (subventions, lignes de financement dédiées, etc.) à digitaliser leurs process et leur outil de production. L’industrie 4.0 permettra ainsi de réduire les coûts, de créer de nouveaux relais de croissance et d’améliorer la compétitivité du Maroc.
2- Adapter le cadre législatif et institutionnel en agissant notamment sur :
- La promulgation d’une législation favorable au développement des TPME et des start-ups, notamment à travers la dématérialisation des documents et l’échange électronique des données juridiques, la vente à distance, la publicité en ligne, etc.
- Repenser l’investissement public afin d’élargir la commande publique aux TPME grâce à une garantie par la CCG :
Les entreprises innovantes sont agiles et capables d’appréhender sans détour les transformations de marché, ainsi qu’elles ont pu le démontrer durant la crise COVIS-19;
Les fonds d’investissements et accélérateurs doivent renforcer l’écosystème des start-ups pour assurer le soutien aux entreprises innovantes ;
La technologie et les entreprises numériques sont de plus en plus essentielles pour garantir que les biens et services essentiels restent disponibles. L’apport des fonds doit être continu afin que les entreprises puissent surmonter la crise actuelle et recevoir un soutien technique et stratégique. Ces fonds doivent se concentrer principalement sur les start-ups dans les domaines de la santé, de la fintech, de l’apprentissage en ligne et de la logistique.
- La définition d’un cadre réglementaire pour la protection des données personnelles en faisant évoluer la loi 09-08 et en s’inspirant de la réglementation européenne RGPD. La CNDP doit impérativement adopter des process bien définis et adaptés aux entreprises du secteur digital et accompagner ces dernières de manière systématique à l’obtention d’un label CNDP, afin de rassurer les utilisateurs quant à l’utilisation de leurs données personnelles. La CNDP doit exiger des entreprises qu’elles soient régularisées en la matière.
- L’agrément de modèles de digitalisation non intrusifs et respectueux de la confidentialité des données et de la liberté des personnes
- La réglementation et la fiabilisation de la signature électronique
- La réglementation du travail à domicile et du télétravail ;
- L’élargissement transversal des prérogatives de l’Agence du Développement du Digital
- La création d’un régulateur des blockchains pour les Smart Contrats.
- L’ouverture du marché des télécoms à de nouveaux opérateurs ;
- Le financement de l’accès à internet par satellite dans les zones mal desservies, par le Fonds de services universels (FSU).
3- Renforcer les infrastructures digitales et télécom en agissant sur :
- L’accélération du déploiement du plan national du haut débit, en dotant tous les quartiers d’un minimum de 12 Mégas de débit sur le réseau fixe et en assurant un débit mobile de 4 Mégas en zone blanche ;
- La consolidation des capacités et le développement du maillage des territoires (urbains et ruraux) en infrastructures télécoms, en installant la 5G là où la fibre optique s’arrête ;
- Le développement d’un cloud souverain sécurisé et la construction de centres de données nationales (Big data marocain)
- L’encouragement des partenariats public-privé pour développer le secteur du digital et des TIC
AXE 2 : GENERALISER ET PERENNISER LE @GOV DANS UNE APPROCHE «CITIZEN-CENTRIC»
La période que nous sommes en train de traverser a montré que la dématérialisation des procédures administratives était largement possible. Il est nécessaire de la généraliser et de la pérenniser. Elle contribue à optimiser le parcours du citoyen et à faire émerger la notion de «satisfaction du citoyen», à l’instar de la satisfaction d’un client vis-à-vis d’une entreprise donnée. Elle est également de nature à renforcer la confiance du citoyen envers ses institutions.
La dématérialisation contribue également à fluidifier et optimiser le parcours de l’entreprise dans le cadre de ses démarches administratives, et in fine à renforcer notre compétitivité internationale.
Cette dématérialisation doit être consolidée et accélérée pour contribuer à la relance attendue de notre croissance économique. Dans cette perspective l’AEI invite le gouvernement à adopter les mesures suivantes :
4- Créer l’identité digitale du citoyen en incluant une composante d’identité biométrique multimodale du citoyen (e-mail, numéro de GSM, empreintes digitales, face, iris …) sous la supervision du CNDP et une Commission nationale d’éthique à créer à cet effet. Le Registre social unifié (RSU) doit être le premier output de cette digitalisation ;
5- Digitaliser les services publics au niveau de l’Etat et des collectivités territoriales, ainsi que les flux de données entre les différentes administrations (Open Data). Dans ce cadre il est nécessaire de rendre obligatoire la certification de tout document public par signature électronique et la dématérialisation obligatoire de toutes les transactions et signatures publiques, des documents contractuels, notariés et juridiques (signature, horodatage…)
6- Mettre en place des guichets uniques e-Gov, agissant comme interface entre le citoyen et les e-services de l’Etat. Notre société n’est pas homogène et peu technophile. Ces guichets sont à concevoir comme des maisons de service public digital avec assistance donnée aux citoyens qui en ont besoin.
AXE 3 : PRENDRE LE TRAIN DE LA REVOLUTION NUMERIQUE EN FORMANT ET EN EQUIPANT NOS CONCITOYENS
Avec plus de 12 millions d’apprenants dans les différents cycles de notre système éducatif, l’équipement de tous, chez eux et en classe, de PC portables et de connexion internet est à la fois une nécessité impérieuse et une opportunité pour le déploiement de tout nouveau modèle de développement inclusif. Pour ce faire, l’AEI propose d’adopter les actions suivantes :
7- Accélérer la réforme pédagogique des systèmes scolaire et universitaire en s’appuyant sur le numérique ; Il s’agit particulièrement d’adopter les actions suivantes :
- L’intégration de l’enseignement du numérique (cours d’informatique et de codage) dans les programmes d’éducation, dès le primaire, pour accélérer la transformation.
- Former et accompagner les enseignants dans leur prise en main de l’outil numérique.
- Doter chaque foyer et chaque classe d’une connexion internet ;
- Procéder à des opérations annuelles 1million de PC/Tablettes au profit des enseignants et des élèves;
- Favoriser les cours en ligne ouverts à tous (Mooc) permettant l’apprentissage et favorisant la participation des apprenants à créer du contenu ;
- Développer le e-learning, le transfert du savoir et la reconversion des ressources humaines en leur ouvrant des comptes de formation personnalisés ;
8- Inviter les universités à s’investir dans le digital et le e-Learning en les incitant à mettre un minimum de 10% de leurs budgets capex dans la plateforme “Maroc Université Numérique» ; à effectuer 30% de leurs formations certifiantes en ligne et à fournir gratuitement les certifications aux e.formations. Le lancement de la formation dans la robotique doit également être intégré rapidement dans les filières du supérieur et de la formation professionnelle.
9- Développer un écosystème digital centré sur le citoyen, en agissant sur :
- L’amélioration des compétences (up-skilling) des citoyens à travers le e-learning ;
- L’appui aux start-ups et entreprises marocaines pour la fabrication massive de PC «Made in Morocco» destinés au marché national et à l’export ;
- L’élaboration d’un cadre légal permettant organismes publics et privés de mettre leurs PC usagés à la disposition de recycleries, agréées au niveau régional, pour les offrir aux familles les plus démunies
- La Création d’un marché du contenu éducatif par une nouvelle génération de TPME portées par la commande publique ;
- L’hébergement gratuit de l’ensemble des développements informatiques dans la plateforme «Fiware» ou équivalent ;
- La défiscalisation d’un minimum de 500 dirhams mensuels des charges télécoms, électricité… pour les personnels pratiquant le télétravail à domicile.
AXE 4 : LE @COMMERCE ET LA TELE MEDECINE, DEUX OPPORTUNITES MAJEURES POUR UN DEVELOPPEMENT INCLUSIF DU MAROC
La crise covid-19 a permis de prendre conscience de l’importance du e-commerce, comme vecteur de croissance des transactions commerciales domestiques et à l’export. L’Etat se doit d’accompagner son développement et de favoriser la digitalisation des TPME. Dans ce cadre, l’AEI suggère ce qui suit:
10- Vulgariser le commerce électronique auprès des chefs d’entreprises, des porteurs de projets et des consommateurs, à travers notamment :
- La création d’une filière et de modules de formation au e-commerce dans les universités et centres de formation professionnelle en s’appuyant sur le réseau des Chambres professionnelles, ou toutes autres institutions similaires, pour faire bénéficier les commerçants de formations courtes et professionnalisantes autour de l’usage du digital ;
- La publication d’un guide des vendeurs e-commerce destinés aux artisans, aux commerces de proximité, aux coopératives et aux TPME. Il permettra d’acquérir les bases pour se lancer dans la vente en ligne, choisir une plateforme ou un prestataire de service et gérer son carnet numérique. Il doit aussi rassurer le commerçant sur le bon dénouement financier de sa transaction ;
- L’encouragement de création de marketplaces et plateformes numériques et l’incitation à leur utilisation ;
- La préparation des commerçants et autres métiers d’intermédiation à utiliser la block-chain
- L’encouragement et la promotion de l’usage du mobile money en vue de réduire de 50% le cash en circulation à l’horizon 2025, augmenter la bancarisation et élargir l’inclusion financière des citoyens.
11- Fiabiliser la transaction commerciale électronique par :
- La réduction des échecs de livraison des achats en ligne en simplifiant généralisant le système d’identification des rues et de numérotation des domiciles ;
- La création de consignes automatiques
- Le lancement d’une assurance à 0,05% de la valeur pour fiabiliser les transactions
- Le plafonnement des commissions et autres couts de transaction facturés par les banques et centres monétiques en appliquant un taux préférentiel pour les TPME.
12- Encourager la télémédecine pour améliorer l’accessibilité des soins de bases, contribuer à la digitalisation du secteur et réduire les déserts médicaux
L’utilisation de la e-santé peut aider le Maroc à consolider son dispositif de prévention, à mieux exploiter les infrastructures médicales existantes, à assurer un service médical de proximité et à réduire les coûts des soins. Dans ce cadre, l’AEI suggère de prendre les principales dispositions suivantes :
- Assurer un meilleur suivi de la santé des citoyens depuis leur naissance en adoptant systématiquement le carnet de santé numérique unifié et généraliser son application, et implémenter le dossier médical partagé.
- Revoir le cadre législatif du décret de télémédecine pour élargir ses champs d’application en retirant l’obligation de présence physique d’un para-médical avec le patient [cette exigence est restrictive et limite grandement l’accessibilité et la réduction de la fracture ; lors de la crise du Covid19, les patients et professionnels ont plébiscité l’usage de la télémédecine sans présence physique obligatoire d’un para-médical, cf l’appui du ministère de la Santé au site de téléconsultation tbib24.com]. La téléconsultation ne règle pas seulement la fracture des déserts médicaux mais elle rapproche tous les patients de leurs médecins même en zone urbaine.
- Opérationnaliser le remboursement des actes de téléconsultations par les assureurs publics et privés (CNOPS,CNSS, CMIM…). Les assureurs du secteur privé doivent avoir le libre choix d’asseoir les termes de remboursement/garanties.
- Encourager l’initiative privée de création de plateformes de téléconsultation médicale et inciter les établissement public à conclure des PPP.
- Agréer des points de télémédecine, dans les zones reculées, gérées par des techniciens médicaux (infirmiers diplômés) agréés, et ce, en vue de réduire les inégalités de la carte sanitaire – La Société marocaine de télémédecine (SMT) a lancé officiellement les premiers sites de télémédecine, dans des zones rurales connaissant une situation d’enclavement sanitaire en fin 2018 en partenariat avec l’Université Mohammed VI des sciences de la santé basée à Casablanca.
- Des plateaux chirurgicaux (CHU) ultra robotisés et connectés, assistés par l’intelligence artificielle et des spécialistes établis loin du CHU.
En résumé ;la crise actuelle a montré toute l’importance du digital dans la continuité et l’amélioration de la qualité des services publics et privés. Elle a aussi mis en lumière la capacité du Maroc (ménages, entreprises et administrations) à intégrer cette digitalisation.
C’est une variable stratégique pour notre pays à court et moyen terme, qui doit impacter la conception de notre modèle de développement. L’enjeu est d’autant plus important, que grâce à la transformation digitale, le Maroc peut réussir d’importantes améliorations dans une série de facteurs de compétitivité qui conditionnent notre classement mondial en la matière ; il s’agit particulièrement de la corruption, des lourdeurs bureaucratiques, de l’inadaptation de la formation à l’emploi et de la faible capacité d’innovation.