Le Maroc est aujourd’hui confronté à une crise hydrique la plus aigue de son histoire contemporaine. À l’heure où les températures frôlent les 46 °C dans plusieurs régions, les réserves en eau s’amenuisent, les nappes phréatiques baissent, et les citoyens s’interrogent : les politiques publiques sont-elles réellement à la hauteur des défis ?
Le Royaume traverse sa sixième année consécutive de sécheresse, une situation sans précédent qui s’accompagne d’un effondrement des indicateurs hydrologiques. L’année 2023 2024 a enregistré à peine 249 mm de précipitations, bien en deçà de la moyenne nationale (450 mm). La couverture neigeuse a, elle aussi, dramatiquement reculé, passant de 50 000 km² à moins de 10 000 km².
Résultat : la disponibilité en eau douce a chuté à 600 m³/habitant/an, contre 2 600 m³ dans les années 1960. Le Maroc est ainsi passé sous le seuil critique défini par les organismes internationaux.
Réserves sous tension, nappes en souffrance
Le taux de remplissage des barrages nationaux atteignait péniblement 39% en juin 2025, alors qu’il avait atteint un plancher de 31% en mai. Dans certaines régions, la situation est particulièrement stressante. À Ouarzazate, par exemple, les nappes affichent un déficit de recharge de –85%, conduisant à l’interdiction de tout nouveau forage.
De manière plus générale, plus de 70% des nappes phréatiques connaissent un abaissement de niveau supérieur à 1 mètre par an, avec des pics allant jusqu’à 3 mètres dans le Souss. Malgré l’adoption de techniques d’irrigation économes, comme le goutte-à-goutte, l’extension de cultures gourmandes en eau (avocats, pastèques, etc.) continue d’absorber l’essentiel des économies réalisées.
Une réponse massive, mais inégale
Face à cette crise, les pouvoirs publics ont engagé une politique d’investissement sans précédent dans les infrastructures hydrauliques :
- 154 grands barrages et 150 petits portent la capacité totale de stockage à 20,7 milliards de m³.
- L’autoroute de l’eau, reliant le bassin du Sebou à Casablanca et Marrakech, permet de transférer 850 millions de m³/an sur plus de 500 km, via un tunnel de 66 km.
- Le pays compte désormais 17 usines de dessalement opérationnelles, 4 en construction et 9 planifiées, visant une production annuelle de 1,7 milliard de m³ à l’horizon 2030.
- L’usine de dessalement d’Agadir fournit 275 000 m³/jour, en partie dédiés à l’irrigation et alimentée par des énergies renouvelables.
- Un programme ambitieux de 200 stations mobiles de dessalement est en cours, dont 40 sont déjà opérationnelles pour desservir environ 3 millions de personnes.
Gouvernance éclatée, modèle à repenser
Malgré ces efforts considérables, plusieurs limites structurelles entravent la performance des politiques publiques. Le dernier rapport de l’IMIS dénonce notamment, une gouvernance morcelée, marquée par une coordination insuffisante entre les ministères de l’Agriculture, de l’Eau et de l’Intérieur ; une tarification agricole peu incitative, maintenant des usages excessifs dans un contexte de rareté ; l’absence d’un système national intégré de données hydriques, ce qui empêche une planification cohérente et réactive.
Par ailleurs, les choix agricoles opérés dans les décennies passées — fondés sur l’agro-exportation intensive — apparaissent aujourd’hui comme un facteur aggravant de la crise, ayant conduit à une exploitation incontrôlée des nappes souterraines.
Un avenir climatique sous pression
Les perspectives climatiques sont préoccupantes. Les projections tablent sur une réduction de 10 à 20% des précipitations dans les prochaines décennies, en particulier dans les régions du sud et du centre du Royaume. Ce contexte renforce l’urgence d’une réorientation stratégique : il ne s’agit plus seulement de produire de l’eau, mais d’en maîtriser les usages et d’en garantir l’accès équitable.
Le Maroc a incontestablement déployé un arsenal technique à grande échelle pour contenir la crise hydrique. Mais la réponse pourrait s’avérer limitée si elle n’est pas accompagnée d’un changement de paradigme agricole ; d’une gouvernance hydrique unifiée et rigoureuse ; et d’un cadre réglementaire dissuasif et incitatif.
Sans une telle refonte structurelle, la crise actuelle risque de s’inscrire dans la durée. La sécurité hydrique du Royaume, et avec elle, une part essentielle de sa stabilité économique et sociale, en dépendent.