Mohamadi El Yacoubi dirige la société de Conseil Marrakech Consulting Group (MCG), spécialisée en gestion comptable et optimisation fiscale ainsi qu’en prestations de conseil juridique et financier et en diagnostic stratégique. Ancien professeur de Gestion à l’Université Cadi Ayyad et à Sup de Co Marrakech et ancien directeur du Groupe de Recherche doctorale Nouvelles Pratiques de Gestion (NPG), il est lauréat de l’Université Laval (Canada), de l’Université Cadi Ayyad (HDR en Gestion) et de l’IAV Hassan II/ENA.
Cet économiste, universitaire et fiscaliste, a également occupé le poste de président de l’Ordre des comptables agréés au Maroc (OPCA) de 2016 à 2020. Il préside actuellement la Commission Investissement et compétitivité et la Commission juridique à la CGEM Marrakech-Safi. Il a été élu en février dernier président du Cercle des Fiscalistes du Maroc (CFM) dont il a été l’un des co-fondateurs.

IDM : Quelle lecture globale faites-vous du rapport du Nouveau modèle de développement ?

MEY : La conception organisationnelle promue par la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement (CSMD) est une sorte de complémentarité entre un État fort et une société forte.  L’ambition de la CSMD pour 2035, est d’arriver à un Maroc, « pays démocratique, où toutes et tous sont en pleine capacité de prendre en main leur devenir et de libérer leur potentiel, de vivre en dignité au sein d’une société ouverte, diverse, juste et équitable. C’est un pays créateur de valeur, qui fructifie ses potentialités de manière durable, partagée et responsable. » La CSMD fixe une quinzaine d’objectifs sous forme d’indicateurs de performance. Il s’agit entre autres, de doubler le PIB par habitant (16.000 dollars à l’horizon 2035) ainsi que la part de l’emploi formel (80 %) et d’atteindre un taux de satisfaction des citoyens vis-à-vis des services publics à hauteur de 80%.

Pour implémenter cette ambition, le rapport de la CSMD présente un ensemble d’axes stratégiques et un plan de financement qui prévoit 4 % du PIB d’investissements publics additionnels durant la phase d’amorçage et jusqu’à 10 % en rythme de croisière. Il préconise un recours accru à l’endettement à court terme pour financer de manière ciblée les projets et chantiers porteurs de développement structurel et de croissance à moyen-long terme, notamment dans le capital humain et la transformation structurelle de l’économie. Ce décollage socio-économique espéré par ce NMD reste néanmoins tributaire de réformes structurelles profondes. Néanmoins, les conclusions et recommandations reprennent de bonnes intentions déjà vues dans d’autres rapports auparavant. Le document, en lieu et place de propositions tranchantes, préfère délibérément mettre en avant un référentiel de développement, sans pour autant se substituer aux acteurs politiques en livrant un programme prêt à être mis en œuvre. Le déploiement de ce NMD nécessite certes une responsabilisation de l’ensemble des acteurs. Autant dire que l’essentiel du travail reste à faire.

IDM : Quels serait les écueils pouvant limiter la mise en œuvre  du Nouveau Modèle de Développement ?

MEY : Quand on regarde les buts stratégiques qui ont fixés dans l’horizon temporel de 2035, il faut prendre en compte l’évolution très rapide des environnements. Parce que nous sommes dans des marchés globalisés, il devient impossible d’anticiper suffisamment le futur. Plus grave, en gravant dans le marbre les prévisions, on limite beaucoup les capacités d’adaptation des différents parties prenantes, aux changements environnementaux.

Deuxième point important est celui relatif à l’erreur du détachement : cette vision a été organisée au sommet, même si elle a sollicité une remontée d’informations. De ce fait, les acteurs, les méthodes et les conclusions de cette vision stratégique sont souvent déconnectés du fonctionnement opérationnel et du déploiement sur le terrain. Parce que cette vision repose sur une distinction formelle entre élaboration et mise en œuvre, cette démarche stratégique peut générer facilement des objectifs déconnectés des capacités stratégiques.

Dernier point est lié aux risques d’erreurs lié à la formalisation. Cette vision utilise des méthodes de prévisions sophistiqués. Cette formalisation du processus de réflexion stratégique dans ce NMD entraîne une utilisation excessive de données chiffrées, qui certes rassurent les responsables, mais tend à limiter l’intérêt porté au données qualitatives, comme le montre nombreuses études, ces données sont souvent plus pertinentes et intègrent beaucoup mieux les facteurs de contingence.

IDM : Avec les ambitions déclinées, peut-on dire que l’Etat providence sera de retour contrairement aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale ?

MEY : Je pense qu’il est important de disposer d’un appareil étatique assurant ses pouvoirs régaliens au service des citoyens, qui doivent être un contrepouvoir. Le rapport sur le NMD identifie quatre nœuds comme étant à l’origine de la dyspnée du modèle actuel. Il s’agit de la lenteur de la transformation structurelle de l’économie qui reste affectée par les coûts élevés des facteurs de production et freinée par la faible ouverture sur de nouveaux acteurs compétitifs et innovants; du manque de cohérence verticale entre la vision de développement et les politiques publiques annoncées et la faible convergence horizontale entre ces politiques; des capacités limitées du secteur public à concevoir et à mettre en œuvre des services publics accessibles et de qualité et un sentiment d’insécurité judiciaire et d’imprévisibilité qui limite les initiatives, et ce, en raison d’un décalage entre certaines lois comportant des zones grises et les réalités sociales vécues, d’une justice qui pâtit d’un manque de confiance, d’une bureaucratie tatillonne et de recours inopérants. Eu égard à ces éléments, la commission a prôné une nouvelle doctrine organisationnelle, articulée autour de la complémentarité entre un Etat fort et une Société forte.  Dans la même veine, de nouveaux choix stratégiques s’imposent, certains en consolidation de l’existant, et d’autres en rupture.

La commission a mis l’accent sur l’inclusion. Il est ainsi recommandé d’offrir des opportunités d’inclusion pour tous et consolider le lien social en faisant participer les populations, en particulier les jeunes. Il convient de renforcer la protection sociale des plus vulnérables, selon des principes de contribution équitable et de consacrer l’égalité des genres. La commission a mis également l’accent sur la transformation de l’économie pour la rendre dynamique, diversifiée, compétitive, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois et génératrice de ressources pour financer les besoins sociaux. Il s’agit d’orienter l’investissement vers les activités productives, de défendre l’entrepreneuriat et d’améliorer la compétitivité du pays en réduisant les coûts des facteurs de production. A côté, elle préconise de renforcer le capital humain et de mieux le préparer pour l’avenir. Un service public d’éducation et de santé amélioré aux côtés d’un secteur privé partenaire responsable et éthique, une gestion performante et par objectifs, et une mise en œuvre portée par les territoires, ainsi qu’une autonomie plus poussée des établissements d’enseignement, et des centres hospitaliers, sont au cœur de la nouvelle approche, pour garantir un accès équitable à tous les citoyens. Enfin, il est recommandé de faire des territoires les lieux d’arrimage du développement, à travers le renforcement du transport, l’amélioration du cadre de vie et la valorisation des ressources naturelles.

IDM : Quelles analyses faites-vous du rôle à assigner à l’état et au secteur public

MEY : En raison du rôle d’opérateur qu’il a joué avant les années 80, l’état gère encore un portefeuille de sociétés à caractère commercial. La logique de la subsidiarité impose à l’état de céder, sans les brader, ses participations au secteur privé et de recentrer son activité dans les infrastructures d’appui à la compétitivité des entreprises. Toute cession partielle ou totale au secteur privé doit obéir aux règles de transparence. L’association à ces opérations de partenaires marocains aussi bien au niveau des compétences humaines qu’au niveau du capital doit être systématiquement recherchée.

Dans son rôle de facilitateur et de régulateur, l’administration est un acteur décisif dans la compétitivité du pays. Parce qu’elle participe dans la «chaîne des valeurs», l’administration peut modifier les conditions de compétitivité des produits et services des entreprises. Ce n’est pas uniquement des coûts explicites dont il s’agit, mais surtout des coûts implicites non apparents liés aux procédures, aux formalités, aux délais de réaction et leurs aléas qui se traduisent par des surcoûts et par des pertes d’opportunités dans bien des cas fatals aux entreprises. Il est clairement établi qu’en dépit des avantages substantiels consentis par la collectivité à travers les différents codes d’encouragement sectoriels, le mouvement des investissements escompté n’a pas suivi. C’est qu’à d’autres niveaux, persistent encore des pesanteurs et des obstacles qui démotivent l’investisseur.

Au niveau national, l’administration peut ouvrir un champ prolifique pour le secteur privé en externalisant, sans en perdre le contrôle, les activités qui ne rentrent pas dans le corps de ses métiers de base. Une réforme profonde et urgente de l’administration doit être menée avec courage et sans préjugés. Le nouveau profil de l’Administration que nous devons promouvoir est une administration modernisée grâce aux technologies de l’information et de la communication ; une administration facilitatrice orientée «citoyen-client» ; Une administration efficiente soumise à l’optimisation des performances ; Une administration ouverte aux changements et proactive et enfin une administration moralisée, assumant pleinement ses responsabilités.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here