[INTERVIEW] Mohamed Cherrat, Président de la FDIM:

Le Maroc se positionne comme un leader régional et mondial dans l’industrie minière durable, en s’appuyant sur des ressources naturelles stratégiques, notamment les phosphates, et une vision ambitieuse. Avec la transition énergétique mondiale et la demande accrue en métaux critiques, le Royaume ambitionne de devenir un acteur clé en Afrique et au-delà. Le plan stratégique marocain, soutenu par un cadre législatif moderne, des investissements massifs et des partenariats internationaux, vise à transformer le secteur en une locomotive de développement économique, tout en promouvant la durabilité et l’intégration industrielle.

IDM: Pourquoi organiser un Congrès des mines au Maroc, et quelle est la portée stratégique du thème choisi pour cette première édition ?

Mohammed CHERRAT: Le congrès international des mines au Maroc, sous le thème « Le Maroc, plaque tournante pour une industrie minière durable au service de la transition énergétique », vise à répondre aux enjeux auxquels fait face le secteur minier dans le contexte actuel de transition énergétique.

L’Afrique, avec ses réserves minérales représentant environ 30% des ressources mondiales, est en passe de devenir un acteur majeur dans l’approvisionnement de métaux stratégiques nécessaires pour soutenir la demande croissante liée à la transition vers des énergies durables. Ce besoin est accentué par les défis du changement climatique et la nécessité de réduire la dépendance des pays occidentaux vis-à-vis de la Chine, qui domine le marché des terres rares et d’autres métaux essentiels.

Le congrès a pour ambition de mettre en lumière le potentiel du continent africain pour transformer ses ressources naturelles en produits dérivés à forte valeur ajoutée, en favorisant l’intégration industrielle et l’organisation en filières. Cela inclut le développement de synergies entre les pays africains pour renforcer les capacités locales et sécuriser les chaînes d’approvisionnement de métaux critiques tels que le cobalt, le manganèse, le cuivre et le phosphate.

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Le Congrès international des Mines au Maroc est l’occasion rêvée pour positionner le Maroc comme un leader régional dans l’industrie minière durable, tout en soutenant les ambitions africaines dans la transition énergétique mondiale. Il servira de plateforme pour réunir et créer une occasion de rencontres, de discussions et de networking entre les principaux acteurs institutionnels, privés et associatifs de l’Afrique et d’ailleurs.

Comment évaluez-vous la situation actuelle de l’industrie minière au Maroc, et quels sont ses principaux atouts et défis ?

L’industrie minière marocaine est en pleine mutation et affiche une résilience remarquable. Le Maroc est un pays de très longue tradition minière. Le secteur minier constitue un des grands piliers de l’économie nationale.

Il y a lieu de noter que la production minière marocaine est très largement dominée par les phosphates (90 %), pour lesquelles le Maroc détient les trois quarts des ressources mondiales. Il est, de ce fait, dans ce secteur, un acteur international de premier plan : Il est le troisième producteur mondial de ce minerai et le premier exportateur. Hors les phosphates, de nombreux minéraux et minerais y sont en effet exploités :  le plomb, le zinc, le cuivre, le cobalt, l’argent, l’or, le manganèse, la fluorine, la Barytine, etc.

Le pays bénéficie d’une riche diversité de ressources minérales, allant des phosphates, qui sont une composante essentielle de l’agriculture mondiale, aux métaux précieux et aux minéraux industriels.

Sur le plan institutionnel, il est important de noter que l’industrie minière au Maroc est un secteur libéralisé et mature, où les rôles et responsabilités sont clairement définis et bien répartis entre l’État, le secteur privé et la société civile.Le développement de ce secteur se fait depuis plusieurs décennies grâce à des ressources humaines entièrement nationales. Le savoir-faire et l’expertise locale, tant sur le plan de la régulation que sur les aspects techniques chez les opérateurs, méritent d’être consolidés. Un grand effort est nécessaire pour préparer et développer les compétences pour les métiers futurs.

Le secteur minier marocain se distingue par son potentiel d’innovation et de durabilité. Les efforts pour moderniser les techniques d’extraction et de traitement, tout en intégrant des pratiques respectueuses de l’environnement, sont au cœur des priorités. Nous observons également un engagement croissant en faveur de la réindustrialisation et de la valorisation des ressources locales, ce qui est essentiel pour renforcer l’autonomie et la compétitivité du pays.

En outre, le Maroc met en place des initiatives pour favoriser l’investissement et attirer des partenaires internationaux, tout en soutenant le développement des compétences locales. Cela permet non seulement de dynamiser l’économie locale, mais aussi de créer des emplois durables.

En résumé, l’industrie minière au Maroc est en pleine croissance et transformation, avec un fort potentiel pour contribuer à l’économie nationale tout en répondant aux enjeux contemporains de durabilité et de responsabilité sociale.

Le Maroc est-il perçu comme une destination attractive pour les investissements miniers à l’échelle mondiale ?

L’attractivité du secteur minier d’un pays dépend de plusieurs facteurs influents dont notamment sa stabilité, le potentiel géologique et minier de son sous-sol, le cadre législatif et réglementaire régissant les activités minières, le régime fiscal, la qualité de l’infrastructure géologique, etc.

Notre pays politiquement très stable, bénéficie d’un contexte géologique riche et varié, qui a permis de développer l’activité minière dans de nombreuses régions du Royaume. Il dispose d’une infrastructure géologique relativement développée.

Ce paysage minier, combiné à la législation récemment adoptée sur l’exploitation minière, a conduit l’institut Fraser du Canada à hisser la Maroc, selon un classement publié en mai 2024 par le prestigieux think tank canadien Fraser Institute comme la destination la plus attrayante d’Afrique en matière d’investissements et la 8ème à l’échelle mondiale pour les sociétés minières multinationales.

Ce classement, qui évalue chaque année l’attractivité de 86 juridictions minières pour l’investissement, met en lumière le potentiel considérable du Maroc. Le Fraser Institute, reconnu pour ses analyses rigoureuses et détaillées, prend en compte divers critères, notamment le potentiel minéral et les politiques minières qui facilitent les investissements.

Cependant, le Maroc a encore des défis à relever pour améliorer davantage sa compétitivité, notamment à travers la mise en place de mesures fiscales incitatives adaptées aux spécificités des phases d’exploration et de valorisation minières pour stimuler l’investissement, simplification des procédures administratives notamment pour les processus d’obtention des autorisations d’occupation des terrains, mise en place de mécanismes spécifiques pour améliorer l’accès au financement des PME et TPE dans le secteur minier, Renforcement de l’infrastructure géologique : Développer des infrastructures et des systèmes d’accès aux données géologiques pour soutenir la recherche et l’innovation dans le secteur, Dynamisation du patrimoine minier en libérant le potentiel minier gelé à l’intérieur de la zone CADETAF pour favoriser de nouvelles opportunités d’exploitation, Développement des compétences en formant  les ingénieurs, techniciens et opérateurs qualifiés pour répondre aux besoins croissants du secteur.

Quels sont, selon vous, les principaux défis que doit relever le secteur minier marocain pour assurer son essor et sa pérennité ?

Force est de constater que le secteur minier marocain-hors phosphates- n’évolue pas depuis quelques années de la manière escomptée. La production minière – hors phosphates est en effet quasi-constante et son chiffre d’affaires à l’export n’a pratiquement pas évolué depuis plusieurs années.

Cette tendance s’explique par l’épuisement des réserves des gisements en cours d’exploitation, l’approfondissement des exploitations, la baisse des teneurs des gisements exploités et la faiblesse d’ouverture de nouvelles mines. Elle est également la conséquence d’un faible investissement dans le domaine de l’exploration et de la recherche minière durant les dernières décennies (environ 400 à 500 M DH), au moment où la tendance à l’échelle mondiale est d’encourager l’investissement pour profiter du cycle haussier des matières premières grâce notamment aux besoins importants de la transition énergétique en divers métaux.

La suppression en 2008, et sans contrepartie, de la Provision pour Reconstitution des Gisements, mesure fiscale spécifique à l’industrie extractive dont bénéficiait le secteur minier marocain, aura fortement contribué à la baisse ou à la stagnation des efforts financiers consentis par les opérateurs privés dans le domaine de l’exploration et la recherche minière.

Sans investissements en exploration, il n’y aura pas de découvertes de nouvelles ressources et réserves et l’avenir du secteur minier hors phosphates sera à moyen terme hypothéqué.

De ce fait, le défi principal auquel le secteur minier marocain est aujourd’hui confronté est celui de pérenniser l’industrie minière Hors phosphates dans notre pays. L’essor et la pérennisation passent obligatoirement par la découverte de nouvelles réserves minières à exploiter soit au niveau des mines en cours d’exploitation (reconstitution des réserves exploitées) soit au niveau de nouveaux gisements à mettre en évidence, ce qui reste tributaire de la réalisation d’importants investissements dans le domaine de l’exploration et la recherche minière. Le plan Mine Maroc prévoit dans ce sens de multiplier par 10 le volume d’investissement dans l’exploration et la recherche minière à près de 4MMDH.

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Au-delà de l’investissement en recherche et exploration minière pour mettre en évidence de nouvelles réserves, l’industrie minière marocaine devra développer des solutions innovantes et créatrices pour optimiser ses procédés de recherche, d’exploitation et de traitement, maîtriser davantage l’impact environnemental de ses activités industrielles, développer des procédés innovants pour mieux valoriser les matières premières qu’elle produits et accélérer sa transformation digitale.

En vue de renforcer la souveraineté industrielle et promouvoir le « Made in Morocco », l’interconnexion avec d’autres secteurs d’activités est essentielle. Cela peut se matérialiser par la mise en avant de l’apport du secteur minier aux industries locales, qu’elles soient existantes ou émergentes. De plus, établir des partenariats avec les fédérations des pays d’Afrique subsaharienne favorisera les échanges sud-sud et le transfert de savoir-faire, en vue de renforcer la capacité du continent à transformer ses ressources. L’objectif est d’atteindre une taille critique pour certaines substances, en intégrant des filières et en développant l’intégration industrielle, afin de répondre à la demande croissante liée à la transformation digitale, à la transition énergétique et à l’industrie bas carbone, notamment pour des métaux comme le cobalt, le manganèse, le cuivre et le phosphate.

Au-delà de tous ces éléments, et compte tenu des caractéristiques et spécificités de l’industrie minière, qui est une industrie capitalistique et qui présente des risques, le développement de ce secteur passe nécessairement par :

  • L’adoption d’un cadre législatif et règlementaire adéquat et stable ;
  • L’adoption d’une fiscalité spécifique attrayante et incitative favorable notamment au développement de filières de transformation ;
  • La disponibilité d’une infrastructure géologique de qualité ;
  • La disponibilité de ressources humaines compétentes et qualifiées ;
  • La prise en compte de plus en plus forte des impératifs environnementaux, du contexte local et de l’acceptabilité sociale.

Quelle contribution le nouveau plan stratégique consacré aux mines peut-il apporter au développement et à la modernisation du secteur au Maroc ?

La FDIM adhère complètement à l’initiative d’élaboration de ce plan, parti d’un diagnostic lucide autour de la situation préoccupante du secteur minier hors phosphates. Nous nous alignons parfaitement sur la vision retenue par le Plan qui est de faire du secteur minier un modèle à l’horizon 2030 œuvrant pour une croissance durable, territorialisée, partagée et inclusive »

Ce plan a pour ambition de faire du secteur minier national un secteur performant et compétitif pouvant jouer le rôle d’une locomotive du développement responsable et durable à l’échelle locale, régionale et nationale. Cette stratégie vise à mettre en œuvre plusieurs piliers structurants touchant l’ensemble de la chaine de valeurs de l’activité minière, l’exploration, la recherche, l’exploitation, la valorisation, la transformation de minerais. Dans le cadre de sa mise en œuvre, plusieurs chantiers sont lancés et concernent principalement la modernisation des cadres législatif et réglementaire, l’assainissement du patrimoine minier national, la redynamisation de la production de la cartographie géologique et l’amélioration de l’accessibilité à la géo-information ainsi que le développement de l’offre de formation dans les métiers de la géologie et la mine.

En revanche, en tant que fédération, nous estimons que pour renforcer la compétitivité et la durabilité du secteur minier au Maroc, deux chantiers prioritaires sont à aborder dans la mise en œuvre du Plan Maroc Mine, à savoir, la refonte de la loi 33-13 et la fiscalité minière.

Nous exhortons donc les pouvoirs publics à surseoir à l’approbation de la loi 33-13 et à créer une commission technique mixte pour un réexamen approfondi pour combler aux insuffisances de cette loi.

Concernant la fiscalité, il est fondamental qu’elle soit stable et incitative, en tenant compte des spécificités du secteur minier, comme le font d’autres pays. Les revendications de la profession consistent en le Rétablissement de la provision pour reconstitution de gisements miniers (PRG), mesure d’encouragement des investissements dans l’exploration pour prolonger la durée de vie des mines, l’exonération de la TVA sur les travaux de recherche pour alléger les charges des opérateurs, l’instauration d’une provision pour réhabilitation de sites miniers permettant aux opérateurs de se conformer aux exigences environnementales, notamment en matière de réhabilitation des sites.

Quel rôle le secteur minier est-il appelé à jouer dans le nouveau modèle de développement industriel et énergétique du Maroc ?

Dans le cadre de notre nouveau plan d’accélération industriel, le secteur minier se voit conféré une place capitale, notamment à travers la promotion du label « Made in Morocco » et l’engagement du pays vers une transition énergétique. Ce contexte ouvre la voie à des implications significatives pour le secteur minier et des métaux, face à la demande croissante de ressources essentielles.

La transition énergétique a engendré une véritable ruée vers des métaux indispensables à cette évolution. Un téléphone portable nécessite environ 200 kilos de matières premières pour sa fabrication, ce qui met en lumière le rapport entre l’extraction et le produit fini. Un véhicule électrique requiert jusqu’à 80 kilos de cuivre, contre seulement 20 kilos pour un véhicule thermique. La transition énergétique, qui s’appuie sur des technologies bas carbone, nécessite une quantité accrue de métaux.

Dans ce contexte, Il est impératif d’explorer, d’exploiter et de valoriser des substances alternatives qui pourraient remplacer celles actuellement importées. Cela permettrait de répondre aux besoins croissants des secteurs industriels tels que l’automobile, l’aéronautique et la chimie, tout en réduisant notre dépendance aux importations.

En développant des chaînes de valeur autour des matériaux essentiels à la transition énergétique—tels que le cobalt, le cuivre, le lithium, le nickel, et les terres rares—le Maroc peut se positionner comme un acteur clé sur le marché mondial. Cela pourrait non seulement stimuler la croissance économique, mais aussi favoriser la création d’emplois et l’innovation.

Le Maroc peut ainsi, non seulement renforcer sa position sur le marché mondial, mais aussi promouvoir un modèle de développement durable et inclusif. Cette transition est essentielle pour construire une économie robuste et résiliente, capable de faire face aux défis futurs.

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