Avec un taux de chômage atteignant 13,3 % en 2023, le marché de l’emploi au Maroc reste confronté à des défis majeurs. Entre vulnérabilités sectorielles, dépendance aux aléas climatiques et inefficacités structurelles, l’analyse de Mohamed Jadri, économiste spécialisé, met en lumière les obstacles à surmonter et les opportunités à saisir pour relancer la création d’emplois et garantir une croissance inclusive.
Le chômage au Maroc, particulièrement élevé parmi les jeunes diplômés et les femmes, reflète des déséquilibres profonds dans l’économie nationale. Alors que le gouvernement mise sur des secteurs prometteurs comme l’industrie automobile, l’aéronautique et le tourisme, des problématiques structurelles persistent, limitant la capacité du pays à créer des emplois durables. Mohamed Jadri, analyste économique de renom, décrypte les enjeux et propose des pistes pour un marché du travail plus résilient.
Le secteur agricole : un pilier fragilisé
L’agriculture, premier employeur du royaume, reste vulnérable aux aléas climatiques. En 2022, près de 297 000 emplois ont été perdus en raison de la sécheresse, un phénomène récurrent qui expose les limites de la dépendance à ce secteur. « Bien que des industries comme l’automobile et le textile aient créé des emplois, elles ne compensent pas les pertes massives dans l’agriculture », souligne Jadri. Pour lui, la diversification économique et une gestion durable des ressources hydriques sont essentielles pour stabiliser l’emploi dans ce secteur clé.
Les défis énergétiques et hydriques
La gestion des ressources en eau et en énergie constitue un autre défi majeur. « Le secteur agricole ne peut pas continuer à dépendre uniquement des précipitations. Une stratégie nationale de gestion de l’eau est indispensable », insiste l’analyste. Par ailleurs, la hausse des coûts de l’énergie au niveau mondial pèse sur la compétitivité des entreprises marocaines. « Une énergie abordable et fiable est cruciale pour attirer les investissements et stimuler la croissance », ajoute-t-il.
Les lacunes du climat des affaires
Le Maroc souffre d’un climat des affaires peu favorable à l’innovation et à la concurrence. « Certains secteurs fonctionnent en situation de monopole ou de quasi-monopole, ce qui freine la dynamique économique », déplore Jadri. Il plaide pour un soutien accru aux petites et très petites entreprises, notamment en dehors des grands pôles économiques comme Tanger. « Ces entreprises sont un levier essentiel pour la création d’emplois, mais elles manquent de soutien institutionnel et d’accès au financement », explique-t-il.
Les paradoxes du marché du travail
Le marché du travail marocain présente des paradoxes frappants. Alors que des secteurs comme le BTP et la santé souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, d’autres peinent à absorber le flux de jeunes diplômés. « Nous observons une demande croissante dans les métiers techniques et paramédicaux, mais les formations disponibles ne répondent pas toujours aux besoins du marché », souligne Jadri. Par ailleurs, l’immigration de travailleurs subsahariens comble partiellement ce déficit, mais pose des questions sur l’intégration et les conditions de travail.
L’efficacité des investissements publics
Malgré des efforts considérables en matière d’investissements publics (31 % du PIB), leur impact sur la croissance reste limité. « Comparé à d’autres pays, le rendement de nos investissements est faible. Nous devons améliorer la gouvernance et la transparence pour maximiser leur efficacité », estime Jadri. Il cite en exemple les secteurs prometteurs comme l’industrie automobile et aéronautique, où le taux d’intégration locale reste insuffisant. « Pour créer plus d’emplois, il faut augmenter la valeur ajoutée locale et réduire la dépendance aux importations », précise-t-il.
Le tourisme : un potentiel sous-exploité
Le secteur touristique, bien que dynamique, ne contribue pas suffisamment à l’économie nationale. « Les touristes ne restent en moyenne que 1,6 nuit au Maroc, avec des dépenses limitées. Pour maximiser l’impact de ce secteur, il faut encourager des séjours plus longs et des dépenses plus élevées », propose Jadri. Une stratégie ciblée pourrait générer des emplois supplémentaires et stimuler la croissance.
Le nouveau modèle de développement : une lueur d’espoir
Le nouveau modèle de développement du Maroc, qui vise à doubler le PIB par habitant d’ici 2035, offre des perspectives encourageantes. « L’objectif est de passer de 130 milliards de dollars en 2021 à 260 milliards en 2035, tout en augmentant le taux d’emploi », explique Jadri. Pour y parvenir, le rôle du secteur privé est crucial. « Nous devons encourager l’entrepreneuriat, faciliter l’accès au financement pour les PME et améliorer le climat des affaires », insiste-t-il.
Les pistes de relance
Pour Jadri, la relance de l’emploi passe par une approche multidimensionnelle. « Il faut résoudre les problématiques structurelles, comme la gestion de l’eau et de l’énergie, tout en améliorant le climat des affaires et en soutenant les secteurs à fort potentiel », affirme-t-il. Il propose également de renforcer les partenariats public-privé et d’encourager l’innovation dans des secteurs comme les énergies renouvelables et l’économie numérique.
Le Maroc dispose d’atouts considérables pour relancer son marché de l’emploi, mais les défis restent nombreux. Selon Mohamed Jadri, une vision claire, des réformes ciblées et une collaboration étroite entre les secteurs public et privé sont essentielles pour transformer ces défis en opportunités. « Avec une stratégie cohérente et une volonté politique forte, le Maroc peut créer un avenir prospère pour sa population », conclut-il.
Rachid Mahmoudi