Les relations économiques excellentes entre le Maroc et la France entament une nouvelle ère de collaboration qui n’exclut aucun secteur, privilégiant, tout de même, les technologies vertes, numériques, innovantes et respectant les choix mutuellement faits, notamment le modèle de souveraineté économique prôné par le Maroc. Voilà en quelques lignes l’analyse que fait Abdelghani Youmni, Docteur en économie et spécialiste des relations franco-marocaines, sur l’état de ces relations qui ont toujours prévalu au-delà des conjonctures.
Comment décririez-vous l’état actuel des relations économiques entre le Maroc et la France, en tenant compte de la dynamique industrielle que connaît le Maroc ces dernières années ?
Le Maroc et la France sont liés par un partenariat stratégique. Les relations économiques sont le reflet de ces liens. Elles sont robustes, elles sont consolidées par l’exceptionnel réussite des réformes macroéconomiques, financières et le volontarisme de la nécessaire transition énergétique du Royaume. Paradoxalement aussi par l’accord du statut avancé Maroc-Union européenne et par les bouleversements induits après le Covid-19 qu’ont connus les chaînes de valeurs globales.
Entre le Maroc et la France, le temps diplomatique a toujours été nourri par le temps économique, comme le souligne Bruno le Maire : une politique sans économie est comme un moteur sans essence », question de pragmatisme.
Maintenant et concernant les relations économiques entre les deux pays, elles sont excellentes et l’ont toujours été. Les échanges commerciaux ont atteint 14 milliards d’euros et d’après les douanes françaises, les exportations marocaines ont augmenté de 112% par rapport aux importations entre 2012 et 2022. L’excédent marocain a été de 0.5 milliard d’euros avec une large diversification des produits marocains incluant les produits agricoles, l’agroalimentaire, l’industrie automobile et aéronautique, et le textile. Cette tendance s’explique par la montée en puissance des écosystèmes industriels marocains, le taux d’intégration de ces industries et les réexportations d’entreprises françaises du secteur de l’automobile vers la France.
N’oublions pas que le Maroc est le premier partenaire de la France en Afrique, le stock d’Investissement Directs Etrangers (IDE) de la France est de 8.4 milliards d’euros, il devrait être propulsé grâce aux projets dans les secteurs de l’énergie nucléaire civile, l’énergie solaire, l’hydrogène vert. De son côté, le Maroc est le premier investisseur africain en France avec une enveloppe de plus de 1.8 milliard d’euros.
Si Le renouvellement et le développement des échanges semblent s’inscrire dans une vision partagée de la co-industrialisation, du co-investissement, de la mobilité des compétences et du transfert de technologie, cette nouvelle ère intègre parfaitement les dimensions méditerranéenne, africaine et atlantique du Royaume et son statut de partenaire incontournable de la géoéconomie multipolaire.
Voyez-vous un renouveau des relations économiques franco-marocaines, et si oui, quels en sont les principaux moteurs ?
Il faut bien comprendre que la montée en puissance des écosystèmes industriels marocains, la réorganisation des chaînes de valeurs globales sur la base de captation de plus de valeur ajoutée adossée à l’investissement vert, la proximité géographique et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), tout cela, fait du Maroc un partenaire de la France, et de tout autre pays, encore plus d’exception et un pays disposant de multiples avantages comparatifs.
Oui, il y a effectivement un renouveau des relations économiques franco-marocaines, et plusieurs facteurs en sont les principaux moteurs : la transition énergétique et le développement durable, la diversification économique et l’industrialisation, le taux d’urbanisation qui a doublé en 20 ans, la technologie et l’innovation numérique, l’éducation et la formation professionnelle, en plus du grand chantier royal de l’édifications d’un Etat social.
Les principaux moteurs de ce renouveau sont les bouleversements géopolitiques et géoéconomiques du monde et les contraintes des changements climatiques, des transitions démographiques inversées de part et d’autre de la Méditerranée et les pressions migratoires à venir.
En Europe, la guerre sur le sol ukrainien et l’affaiblissement économique de l’Allemagne soutiennent l’idée d’un renforcement des relations économiques avec la Méditerranée et avec l’Afrique. Le temps politique a la capacité de guider le temps économique vers la construction d’un avenir commun pour surmonter le passé.
Enfin, les accords bilatéraux et la coopération institutionnelle jouent un rôle crucial dans le renforcement des relations économiques. Le statut avancé du Maroc auprès de l’Union européenne facilite les échanges commerciaux et les investissements. Les rencontres régulières franches et décomplexées entre responsables politiques et économiques des deux pays contribuent à la mise en place de partenariats stratégiques.
Quels sont les secteurs d’investissement prioritaires pour les entreprises françaises au Maroc, et comment ces choix d’investissement ont-ils évolué récemment ?
Revisiter les paradigmes de l’Investissement Direct Étranger (IDE) est crucial pour l’avenir du Maroc et de l’Afrique, et vital pour la France et l’Europe. Le partenariat gagnant-gagnant est le seul chemin viable. Aujourd’hui, les délocalisations basées sur l’arbitrage des coûts de production, la parité du pouvoir d’achat, la fiscalité et le dumping monétaire sont obsolètes. De plus, les exportations et réexportations sans intégration des dimensions de transfert technologique et d’empreinte carbone compromettent l’avenir de la planète et les équilibres démographiques entre les continents.
Tous les secteurs sont éligibles à la coopération entre la France et le Maroc, notamment le textile, l’agroalimentaire, la manufacture industrielle, les industries de la mobilité et de la logistique, le numérique, et le nucléaire civil.
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Les secteurs d’investissement prioritaires pour les entreprises françaises au Maroc ont évolué au fil des ans, reflétant les changements économiques et stratégiques du pays. On peut citer l’automobile (moteur thermique et électrique), l’aéronautique, les infrastructures et la construction (ferroviaire et portuaire).
Cependant, les investissements français au Maroc se diversifient au-delà des secteurs traditionnels. Il y a un intérêt croissant pour les secteurs des technologies vertes, de l’économie numérique et des startups innovantes.
S’inscrire dans la continuité, c’est également consolider les accords bilatéraux et la coopération économique entre la France et le Maroc, facilitant ainsi les conditions d’investissement et offrant des protections légales accrues pour les investisseurs. Les entreprises françaises adaptent leurs stratégies pour aligner leurs investissements avec les priorités nationales marocaines, telles que la transition énergétique et le développement durable.
Comment la France réagit-elle aux choix de souveraineté économique du Maroc ; s’inscrit-elle dans cette nouvelle vision, et si oui, de quelle manière cela se manifeste-t-il en matière de projets économiques conjoints ?
La souveraineté est au centre des préoccupations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, elle n’est pas singulière, mais plurielle. Elle n’est pas focalisée, mais systémique. Rappelons que la crise sanitaire a été le révélateur de la fragilité de plusieurs pays et de leurs dépendances de l’usine chinoise, de la pharmacie indienne ou de la ferme russe ou ukrainienne.
Ce n’est pas faute de le redire, mais la désindustrialisation a fait perdre 2.2 millions d’emplois, détruit des bassins industriels et des régions entières et a fait baisser le PIB industriel de 23 à 10%, faisant passer le pays d’une économie à demande extérieure, tirée par les exportations, à un modèle de demande intérieure tirée par les importations. La France comprend parfaitement le sentiment de souveraineté économique du Maroc. C’est également sa stratégie pour s’extirper de la dépendance des émergents asiatiques et pour construire au sein de son voisinage des niches de co-industrialisation et de co-investissement. C’est la route de la prospérité partagée.
Il est donc indéniable que la France réagit positivement aux choix de souveraineté économique du Maroc. Le pays a affiché, depuis 24 ans, son ambition de diversifier ses partenariats et de construire une vraie coopération gagnant-gagnant au sud du Sahara et avec l’ensemble des pays africains. La France semble de plus en plus s’inscrire, avec le Maroc, dans cette nouvelle vision qui transcende les seules pierres angulaires de la langue et de la culture française.
Cette coopération pourrait se concrétiser par des initiatives et des projets économiques conjoints dits de triangulation, démontrant un engagement commun à renforcer les liens économiques et à promouvoir un partenariat durable et mutuellement bénéfique pour l’économie, la culture, la mobilité des compétences, des artistes, des scientifiques, des biens et services transformés de part et d’autre et des investissements productifs.
Interview initialement publiée dans Industrie du Maroc N°83 – Juin 2024