Abdelkader Amara

Transition énergétique
Dans cette interview, le Ministre de l’Energie, des mines, de l’eau et de l’environnement, n’est pas dans la langue de bois : que les spéculations sur les découvertes de pétrole ou de gaz cessent.
C’est un travail de longue haleine qui nécessite au bas mot 10 à 15 ans.
Et les compagnies internationales ont intérêt via des annonces médiatiques à la solde à vendre plus d’actions. Vlan!
IDM : Quel bilan faites-vous pour votre dernier périple en Afrique dans le cadre de la tournée royale ?
A.A. : Il s’agit d’une visite d’amitié, mais si vous voulez la bannière était le volet économique surtout les secteurs de l’énergie et mines sans oublier le commerce et l’industrie engageant le secteur public comme celui privé.
Les 4 pays visités très riches en minerais ont besoin du savoir-faire et de l’expertise marocains.
Ils ont aussi besoin d’investissements et de financements auxquels le Maroc peut jouer le rôle d’interface en cherchant des joint-ventures et mettre à profit les avantages des uns et des autres. L’exemple type est celui du partenariat signé à Libreville la capitale gabonaise.
C’est un projet d’intégration exemplaire, combinant l’amoniac issue du gaz naturel gabonais, la potasse gabonaise et les phosphates marocains, et qui va permettre d’industrialiser la fabrication des engrais aussi bien au Maroc qu’au Gabon.
A titre d’information, l’Afrique consomme seulement 4kg d’engrais par hectare, assez loin de la moyenne internationale qui est de 80 kg par hectare.
L’Afrique a beaucoup de terres arables à exploiter, un indicateur qui promet d’assurer à terme la sécurité alimentaire.
Je voudrai aussi signaler qu’un tel partenariat bilatéral se veut d’une importance capitale dans la mesure où il permet de monter dans la chaine de valeur industrielle, c’est-à-dire créer de la valeur ajoutée et des offres d’emploi au lieu de vendre à l’état brute.
Ça donne aussi plus de notoriété sur le marché international.
Le deuxième exemple est la Guinée-Conakry, un pays riche en ressources hydriques et en minerais (2/3 des réserves mondiales de la bauxite).
Lors de la dernière tournée royale nous avons signé un partenariat consistant à faire bénéficier notre partenaire de l’expertise et le savoir-faire marocains dans la construction des barrages, leur exploitation et leur gestion mais aussi de la production de l’électricité et de l’eau potable.
S’agissant du Mali, nous avons scellé un partenariat portant sur le secteur minier surtout que ce pays regorge d’un potentiel énorme en or.
Toujours c’est l’expertise et le savoir-faire marocains qui sont sollicités dans l’objectif d’aider aux investissements et encourager l’attraction d’autres investisseurs étrangers.
Un autre projet en gestation consiste en l’assistance marocaine dans la production de l’électricité.
Où en sont les deux grands chantiers à savoir l’Agence de régulation et le Code minier ?
S’agissant de l’agence de régulation, j’avoue qu’il s’agit d’un grand chantier sur lequel nous travaillons toujours.
Comme il y a plusieurs intervenants ça reste un chantier assez complexe surtout dans sa composante distribution qui pose problème au niveau de la coordination avec les régies par exemple.
Quoi qu’il en soit on espère le boucler vers la fin 2014 avec le dépôt du projet de loi au circuit administratif. Quant au code minier il est fin prêt.
Il reste quelques points qui sont sous peu d’être réglés avec la profession dans l’espoir de finaliser le projet dans les semaines à venir.
Il faut dire aussi que le fait d’abroger un code qui date des années 1950 est un grand pas en soi.
Il présente un cadre incitatif en mesure d’attirer non seulement les investisseurs internationaux mais également ceux locaux.
IDM : Pensez-vous que les stratégies industrielle et énergétique vont-elles de pair?
A.A. : En fait les stratégies se doivent aller de pair. A l’époque où j’étais à la tête du département du Commerce et de l’industrie j’avais bataillé pour acter un principe, celui de la compensation industrielle.
Nous sommes un pays où la commande publique va de 150 à 190 milliards de dirhams.
Il est donc clair que cette manne devrait avoir un impact notable sur le tissu local.
Raison pour laquelle il est exigé aux adjudicataires nationaux et étrangères de réserver une partie de leur fourniture et services aux opérateurs industriels en déterminant un pourcentage qui tient compte de la maturité industrielle des entreprises suivant les secteurs.
Il existe donc un consensus que le tissu entrepreneurial devrait en profiter.
J’ajoute aussi qu’il y a aujourd’hui au Maroc des filières nouvelles qui sont à même de donner un plus à l’industrie nationale comme le solaire, l’éolien et l’efficacité énergétique.
Sur ce chantier de la compensation industrielle on a convenu avec le ministère de l’industrie de mettre en place tous les outils nécessaires: incitations, infrastructures, compétences…Je ne vous cache pas que cela nécessite un peu de temps et de travail.
Mais déjà on peut se réjouir quand même qu’il y a des sociétés marocaines qui fabriquent par exemple les mâts d’éoliennes.
On s’est engagé à donner de la visibilité aux opérateurs. L’étalage des programmes d’investissement solaire et éolien à l’horizon 2020 s’inscrit dans cette optique de visibilité et de renforcer la composante d’intégration industrielle en allant même chercher des joint-ventures à l’international.
Certes on ne peut pas parler d’une révolution industrielle si les grands chantiers n’intègrent pas le tissu local.
Toutefois, ce dernier est appelé vivement à être en mesure de donner une offre aux mêmes normes et standards de qualités en vigueur à l’échelle internationale.
Si non ça ne sert à rien de prendre le local juste pour le local.
IDM : On remarque que le nucléaire est le grand absent de votre feuille de route ?
A.A. : J’ai présenté une feuille de transition énergétique sur des chantiers qui sont d’actualité.
Pour dire vrai, tout au moins sur le moyen terme nous n’avons pas cette option nucléaire.
Mais qui reste ouverte. Nous ne la sommes pas interdits à l’exemple d’autres pays comme l’Allemagne ou la Suisse, mais aussi nous l’avons pas sur la table pour le moment.
Par ailleurs, nous sommes en train de développer nos compétences et capacités nucléaires en matière de recherche et développement.
Le Centre national de l›énergie des sciences et des techniques nucléaires s’active pour améliorer en premier lieu les compétences techniques et humaines et de répondre aux besoins médicaux, de nutrition, d’eau…Nous maintenons en permanence des contacts avec l’Agence internationale de l›énergie (AIE) pour suivre les tendances énergétiques actuelles à l’international.
Ceci dit, nous avons des gisements énormes d’énergies inépuisables et environnementales, ça serait, je pense, aberrant d’aller chercher d’autres sources.
IDM : La transition énergétique semble être un exercice qui n’est pas de tout repos. Votre feuille de route saura-t-elle parer aux lacunes ?
A.A. : Un constat sans appel. La stratégie énergétique nationale dépend de l’import à hauteur de 95%.
Notre but dans l’avenir est d’introduire les énergies renouvelables dans le mix énergétique car c’est là où le Maroc a un potentiel énorme.
Plusieurs programmes dans le domaine solaire et éolien ont été fixés en vue de produire 40% d’électricité renouvelable d’ici 2020. Tout cela requiert bien sûr un travail considérable à plusieurs échelles que ce soit dans les infrastructures, la recherche et développement ou encore les compétences humaines.
Cela va nous permettre de réduire notre dépendance énergétique à l’international.
Il y a aussi l’objectif sur le moyen et long termes d’exporter cette énergie propre vers le marché européen.
L’intégration du marché électrique européen nécessite en outre un travail pointu car ce n’est pas si facile que ça.
Nous envisageons dans une première étape d’intégrer le marché ibérique. Et puis on verra… À terme l’équilibre dans les énergies renouvelables notamment la filière solaire se fera à travers la composante export.
Cela étant, nous travaillons aussi sur l’exploration pétrolière et gazière. Depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui on a pratiquement fait peu de forages.
Les expériences internationales nous enseignent que pour arriver à une découverte il faut forer.
Ainsi, notre objectif est d’attirer les grandes compagnies disposant d’un large portefeuille à l’international.
Et nous avons tous les atouts pour les intéresser à forer.
A commencer par le code des hydrocarbures qui est vraiment alléchant.
La zone Maroc prend également de plus en plus d’importance à l’échelle internationale.
En 2013, je pense qu’on était à 4 ou 5 forages.
Pour l’année en cours on serait facilement à plus de 25 forages que ce soit en on shore ou offshore.
A ce titre, il y a lieu de souligner deux indicateurs clés.
Et de un, plus le nombre des forages augmente plus la probabilité de trouver des ressources est grande.
Deuxièmement, la qualité des compagnies installées actuellement telles Total, Cosmos Mobile, British Petrolium ou encore Repsol joue à notre faveur et montre qu’il y a de l’intérêt.
Ceci dit, Il est clair qu’il s’agit d’un domaine risqué et hautement capitalistique.
L’exploration pétrolière et gazière constitue donc un axe non négligeable de notre stratégie.
Je dis, si on arrive à passer de quelques millions de m3 de gaz à quelques milliards ça serait une bonne chose.
Certes nous ne serons pas au stade d’un grand pays producteur, mais ça va nous permettrait de réduire notre facture énergétique.
J’aimerai aussi mettre l’accent sur un autre axe de la stratégie énergétique et non des moindres à savoir le gaz naturel.
Nous comptons introduire massivement au sein du mix énergétique le gaz naturel étant donné qu’il est peu utilisé. Cette mesure nous permet de réduire la consommation du fuel qui est très coûteux et par voie de conséquence alléger les charges de compensation.
Mais également d’avoir une souplesse dans l’utilisation des énergies renouvelables qui présentent deux inconvénients : le stockage et l’intermittence.
Ce qui est important pour l’instant c’est de trouver les financements pour ces projets.
Toujours dans le même sillage, on a mis sur place des structures de recherche et développement car il s’agit des domaines où il y a nécessité de maîtriser la technologie.
C’est pourquoi l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles a été créé.
L’objectif est double. D’abord l’institution accorde le soutien financier nécessaire aux différentes équipes de recherche.
Ensuite, elle constitue une infrastructure de relais liant aussi bien les universités nationales que celles internationales.
Dans ce cas de figure nous travaillons pour créer des filières spécialisées dans les énergies renouvelables (Master et doctorat).
Je tiens par ailleurs à souligner que d’autres chantiers sont aussi ouverts pour concrétiser dans la durée notre intégration dans le marché électrique européen.
On a déjà libéralisé la haute tension. Nous sommes en cours pour l’ouverture de la moyenne tension pour arriver à terme à la basse tension. Ce dernier chantier est très intéressant pour le Maroc.
Dans la mesure où tout le monde aura droit à produire une partie de l’énergie à consommer via le photovoltaïque dont l’utilisation reste toujours faible.
Grosso modo, la finalité de tous ces chantiers est de réduire la dépendance énergétique.
L’utilisation des énergies renouvelables nous permet de la réduire facilement à 80% à terme au lieu de 95% aujourd’hui.
Tout en espérant trouver quelque chose dans les sous-sols marocains.

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