La ville d’Essaouira s’apprête à battre au rythme de deux jours de débats stratégiques et de réflexions autour de l’entreprenariat social. Ainsi, plus d’une centaine de personnalités de tout horizon, penseurs et acteurs venus d’Europe, d’Afrique, d’Asie, prendront part à ces premiers « États Généraux de l’Entrepreneuriat Citoyen ». À l’issu de cet événement de taille, l’édition d’une feuille de route commune : la « Déclaration d’Essaouira ».
Venue animer une session autour des perspectives de développement du secteur de l’agritech afin de le mettre au service des citoyens et des consommateurs, Angelle Kwemo, Présidente AWA Cameroun, nous livre ses attentes vis-à vis de cet événement et nous parle du futur de la femme africaine et de son rôle prééminent dans l’agriculture du continent.
IDM : Vous êtes attendues à la conférence sur les « États Généraux des Entreprises et des Entrepreneurs Citoyens », qui se déroulera du 30 juin au 01 juillet à Essaouira. Quelles sont vos attentes vis-à vis de cet événement ?
Angelle Kwemo : Je suis très honorée de cette invitation d’Amandine Lepoutre, co-présidente et fondatrice de Thinkers & Doers. Le sujet est très important, car nous sommes dans une ère où le rôle des entreprises dans l’économie de nos pays devient de plus en plus crucial. Nous attendons que se crée une synergie entre les entrepreneurs engagés à relever les défis contemporains, et surtout des partages d’expériences et de bonnes pratiques. En tant qu’Africaine, je pense que notre intérêt collectif est d’assurer la création et la pérennisation de l’emploi sur le continent, afin de réduire le chômage et le désespoir des jeunes. Il est temps que nous arrivions collectivement à un nouveau contrat social, dans lequel les investisseurs et les acteurs économiques locaux œuvrent ensemble, non seulement pour générer du profit pour l’entreprise, mais aussi pour permettre l’épanouissement des équipes, et aussi créer de la richesse dans les communautés où ils sont implantés. J’espère que tous les points de vues seront pris en compte et surtout, comme l’indique l’essence même de Thinkers & Doers, que des actions concrètes seront mises en œuvre.
En marge de votre participation à cette manifestation, vous animerez un Workshop sous le thème : « Les perspectives de développement du secteur de l’agritech, pour le mettre au service des citoyens et des consommateurs ». Comment le secteur de l’agritech peut-il être mis au service des citoyens ?
Selon les prévisions démographiques, la population africaine va doubler d’ici 2050 et le continent devra tripler sa production agricole tout en préservant l’environnement, le sol, l’eau et la biodiversité. L‘agriculture est responsable de la création de 25 à35% des emplois directs et représente la source de revenus de plus de 70% de la population. Il est donc indéniable que, par le biais du développement de nouvelles technologies, secteurs dans lequel nos jeunes excellent, l’agriculture africaine pourrait non seulement mettre en place des outils nouveaux, mais surtout répondre aux défis de productivité et de développement durable. L’agritech constitue donc une réelle opportunité pour les citoyens et encore plus pour les jeunes qui ploient sous le poids du chômage. De plus en plus de jeunes se sont impliqués dans le développement de techniques innovantes dans l’agriculture, le développement des solutions, comme la mise en place d’un outil prédictif d’analyse des risques agricoles pour éviter des pertes dues à des catastrophes qu’on aurait pu éviter ; ou encore la création de la bourse agricole en ligne qui offre aux producteurs la possibilité de communiquer avec les clients sur leurs produits, en indiquant prix, quantité et lieux de production.C’est à cela que servirait la plateforme AWA que nous envisageons de créer.
En tant que fondatrice de l’ONG « Believe in Africa » étant à l’origine de la création d’«African Women in Agriculture », pouvez-vous nous parler des objectifs de ces initiatives ?
Believe in Africa a pour mission principale de promouvoir l’impact du secteur privé africain dans l’essor économique du continent, en mettant l’accent sur les femmes et les jeunes. Dans le cadre de nos activités, nous œuvrons pour l’émancipation des femmes dans un secteur qui lui est plus ou moins naturel : l’agriculture ; nous disons souvent que c’est la femme qui nourrit le continent.
Les femmes représentent à peu près 60 %des forces de travail, et gagnent30 % de moins que les hommes. Elles sont confinées à l’agriculture de subsistance, alors que leur activité pourrait être créatrice de richesse. Notre objectif est donc de les accompagner de la subsistance à l’agrobusiness. AWA est le réseau des femmes africaines agricultrices et artisanes. Notre objectif est de fédérer nos efforts afin de répondre aux besoins des femmes du continent, à savoir la mobilisation des ressources, la promotion du statut de la femme, l’accès à la terre, aux crédits et services financiers, et surtout la compétitivité.
Justement la plateforme de réseautage AWA a été lancée à partir de Marrakech, pourquoi le choix du Maroc pour ce lancement ?
La plateforme a été lancée au Maroc pour plusieurs raisons, notamment au vu des politiques marocaines d’accompagnement qui, à mon sens, pourraient être déployées sur le reste du continent, surtout les programmes de l’INDH et la promotion des produits du terroir. Deuxièmement, sur le plan de la compétitivité, si l’on veut promouvoir la transformation de nos produits agricoles, le Maroc, du fait de sa politique énergétique, nous donne un cadre favorable pour l’essor de l’industrie de transformation. Troisièmement, le Maroc, du fait des accords commerciaux signés avec certains pays développés, peut donner aux femmes du réseau AWA l’opportunité d’exporter leurs produits sur le marché international à des prix compétitifs. Ceci étant, nous sommes à nos débuts et espérons avoir le soutien nécessaire pour faire d’AWA Maroc un véritable hub de l’industrie cosmétique, de l’artisanat et des produits transformés.
Comment se profile, à votre avis, l’avenir de la femme dans la transformation de l’Afrique et dans le développement de l’agriculture dans le continent ?
Nous sommes tous conscients qu’« une seule main ne peut pas attacher un fardeau », comme le dit un proverbe africain. Il est temps que nous portions tous le fardeau du continent. Les femmes ont les compétences qu’il faut et sont prêtes à relever tous les défis. Le rôle de la femme dans l’essor économique de l’Afrique n’est plus une question de genre ou d’équité, c’est un impératif économique puisque nous perdons à peu près 50 milliards par an du fait de cette inégalité. Ceci est d’autant plus vrai et palpable dans le secteur de l’agriculture. Je ne peux donc qu’être optimiste.
Biographie : Ancienne cadre chez « Bolloré Africa Logistics » au Cameroun jusqu’en 1999 et après avoir étudié le droit et exercé professionnellement en France dans un Cabinet d’avocat, elle part s’installer aux Etats-Unis, où elle reprend ses études. Quatre ans plus tard, elle intègre le Congrès américain comme Conseillère législative pour les questions africaines, où elle sensibilise – sept ans durant – les élus de la chambre basse aux enjeux de la coopération Etats-Unis – Afrique, notamment en fondant le Congressional African Staff Association (CASA). À 48 ans, après avoir été la « Madame Afrique » de Capitol Hill pendant plus de sept ans, elle décide de mettre un terme à sa carrière dans le public et crée son entreprise : A StrategiK Group.
Par Sarah MAACHE