Le développement industriel inclusif,durable,rôle primordial
Entretien avec Jaime Moll de Alba Représentant de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel au Maroc
Le développement industriel inclusif et durable, approche de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) qui concilie les impératifs de la croissance économique, la cohésion sociale et la durabilité environnementale, est au cœur du Plan d’accélération industrielle du Royaume du Maroc qui vise à transformer le secteur industriel marocain en tant que levier principal de croissance nationale

IDM : Où se positionne le Maroc par rapport aux autres pays de la région nord-africaine?

JMA : Tout d’abord, il faut souligner que la structure de l’industrie révèle des différences significatives entre les pays d’Afrique du Nord.
La contribution du secteur manufacturier à la structure industrielle nationale est significativement élevée au Maroc (52%) par rapport à la Libye et l’Algérie où l’exploitation minière et les services publics jouent un rôle primordial dans leurs économies et représentent 85% et 74% respectivement.
En termes de contribution à la valeur ajoutée régionale, elle reste assez concentrée : l’Egypte continue ainsi à représenter plus de 40% de la VAM de la région, suivie du Royaume du Maroc avec 22% puis de la Tunisie avec 14%.
La situation change quand on regarde la VAM par habitant, l’indicateur clé du niveau d’industrialisation d’un pays où on tient compte de la taille du pays. Le Maroc, avec 319 dollars US, se place en deuxième positiondans la région après la Tunisie (616 dollars US), avec une VAM par habitant qui a connu une croissance modérée (1,11 pour cent) au cours de 2008 à 2012.
Il est convenable de rappeler que dans son ensemble, et cela malgré les différences existantes entre les pays la région, l’Afrique du Nord affiche la VAM par habitant la plus élevée de l’Afrique avec 225 dollars US par habitant, suivie par la région de l’Afrique du Sud avec 213 dollars US par habitant.

IDM : Quels sont les secteurs industriels dans lesquelles Royaume reste avancé par rapport aux autres pays?

JMA : Trois secteurs manufacturiers représentent plus de la moitié de la VAM du pays, notamment les aliments et les boissons avec 20,61%, les produits chimiques avec 18,18% et les produits minéraux non métalliques qui représentent 14,65%. Les secteurs du textile et de l’habillement connaissent depuis quelques années un déclin en termes de leur contribution à la VAM nationale, même si leur valeur n’a pas diminué très significativement.
Les secteurs de l’automobile et d’autres équipements de transport ont connu une progression significative malgré le fait que leur participation en termes de VAM du pays reste limitée.
Les analyses préliminaires de changement structurel de l’ONUDI en fonction du niveau de revenu semblent montrer un ensemble de secteurs dans lesquels le Maroc dispose d’avantages comparatifs.Le pays est en trainde perdrel’avantage dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre telles que le textile et l’habillement, mais en même temps, il gagne des avantages dans certains secteurs à forte intensité de capital comme les produits chimiques, les métaux de base et les industries des véhicules automobiles.
Si on regarde l’effet des conditions spécifiques du pays sur ces trois derniers secteurs, le Maroc semble disposer d’un avantage spécifique dans le secteur des produits chimiques et les véhicules automobiles.
Cependant cela ne veut pas dire que les industries intensives en main d’œuvre n’offrent plus de potentiel.
Il faut souligner qu’au Royaume du Maroc, les industries à forte intensité de main-d’œuvre montrent encore un écart entre leur performance et le potentiel réel du pays dans ces industries.

IDM : Comment s’active l’ONUDI pour redresser la performance industrielle de la région nord-africaine de manière générale ? Existe-t-il un fonds dédié à cela ?

JMA : L’ONUDI est l’institution spécialisée des Nations Unies dont le mandat est de promouvoir et d’accélérer le développement industriel inclusif et durable dans les pays en développement et en transition, afin d’éliminer la pauvreté et de favoriser le développement durable.
Une approche intégrée aux défis les plus urgents de la société doit tenir compte des trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Lors de la 15ème Conférence Générale de l’ONUDI en décembre 2013, les Etats membres de l’Organisation, le Royaume du Maroc y compris, ont adopté la Déclaration de Lima, donnant à l’ONUDI le mandat de promouvoir un développement industriel inclusif et durable comme le moyen principal de réaliser leurs objectifs en matière de politique de développement industriel.
La réalisation d’un développement industriel inclusif et durable représente la vision de l’ONUDI sur une approche qui concilie les impératifs de la croissance économique, la cohésion sociale et la durabilité environnementale.
Notre Organisation a une présence permanente significative dans la région nord-africaine, qui témoigne de son importance et de son potentiel, avec des bureaux pays au Royaume du Maroc, en Tunisie et en Lybie, et un bureau régional en Egypte.
De plus, l’ONUDI est chargée de diffuser le savoir et de fournir des conseils sur les politiques et les stratégies industrielles, les expériences fructueuses et les meilleures pratiques en matière d’industrialisation, fournissant ainsi un appui stratégique dans l’accompagnement des stratégies industrielles nationales.
De plus, l’ONUDI met en œuvre, en étroite coopération avec ses Etats membres, des projets de coopération technique qui favorisent l’émergence d’un développement industriel inclusif et durable dans la région.

IDM : Quelle est la vision futuriste de votre Organisme par rapport au développement industriel et économique de la région nord-africaine ?

JMA : Le développement industriel en Afrique du Nord peut jouer un rôle primordial dans la réalisation de la transformation structurelle nécessaire pour la région et assurer la croissance économique soutenue nécessaire pour créer des emplois décents et améliorer les conditions de vie de la population.
Néanmoins, pour que cela se produise, la performance récente du secteur manufacturier d’Afrique du Nord doit être inversée et sa croissance, sophistication et diversification, en termes de production et de commerce, doivent être amplifiées.De plus, aujourd’hui quand on réfléchit au développement industriel, il est impératif de souligner l’intérêt renouvelé et croissant aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie d’industrialisation par le développement du secteur manufacturier.
Les pays qui souhaitent développer aujourd’hui leurs secteurs industriels sont confrontés à un environnement différent de celui connu par les pays qui se sont déjà industrialisés avec une concurrence très forte et une marge de manœuvre plus réduite.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier les nouvelles règles de commerce, les accords de libre-échange, les droits de propriété intellectuelle, les accords internationaux sur l’environnement et le changement climatique, les barrières non tarifaires, etc.
Il faut rappeler aussi l’existence de chemins multiples pour achever un développement industriel durable et inclusif et que chaque pays peut décider de la stratégie qui s’adapte le mieux à son histoire, à ses besoins et à ses aspirations.
Les deux patrons du développement industriel qu’on retrouve dans la région en témoignent. D’une part,l’Algérie et la Libye, sont riches en ressources, notamment en gaz naturel et pétrole, mais avec une base manufacturière maigre.
D’autre part, la Tunisie, l’Egypte et le Maroc disposent d’une base industrielle plus large mais ont connu une stagnation lors de ces dernières années.
Tout cela appelle évidement à des approches différentes afin de soutenir la transformation structurelle de ces économies.

IDM : Quelles sont les missions de l’ONUDI par rapport à l’accompagnement et au développement du tissu industriel marocain ?

JMA : Le Royaume du Maroc, que je tiens à remercier, est un Etat membre clé de notre Organisation et apporte un soutien de longue date, à ses objectifs et à ses programmes pour appuyer le développement industriel inclusif et durable.
L’ONUDI fournit son appui et accompagnement stratégique et technique aux institutions marocaines pour soutenir l’émergence et la consolidation d’un secteur manufacturier national performant et compétitif.

Notre travail est structuré autour de trois axes thématiques d’activité :

le développement des capacités productives, le renforcement des capacités commerciales ainsi que l’environnement et l’énergie.
Nous avons en effet des programmes de coopération technique dans ces trois domaines, entre autres, le projet régional de développement de clusters dans les industries culturelles et créatives avec le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie Numérique, qui est notre partenaire de référence, et le projet PAMPAT d’accès aux marchés pour les produits agroalimentaires et de terroir avec le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime et l’Agence de Développement Agricole.
De plus, notre Organisation contribue aux efforts nationaux dans l’acquisition des compétences techniques demandées par le secteur industriel, comme dans le cas du projet de développement publique-privé pour créer une académie régionale de gros engins et véhicules commerciaux.
La coopération sud-sud est également au cœur des activités de l’ONUDI depuis de longues années, et plusieurs actions dans ce sens ont été menées en partenariat avec le Royaume du Maroc en ce qui concerne l’accès au marché, les réseaux d’entreprises ou clusters, la gestion efficace des ressources et la production propre.

IDM : Quelle est la vision de l’ONUDI quant au Plan d’Accélération Industrielle ?

JMA : Le développement industriel inclusif et durable, approche de l’ONUDI qui concilie les impératifs de la croissance économique, la cohésion sociale et la durabilité environnementale, est au cœur du Plan d’accélération industrielle du Royaume du Maroc qui vise à transformer le secteur industriel marocain en tant que levier principal de croissance nationale.
Cette approche intégrée aux défis les plus urgents de la société doit tenir compte des trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale.
Le Royaume du Maroc dispose de toute évidence de multiples atouts pour devenir un pôle de référence de développement industriel dans la région, et le Plan d’accélération industrielle constitue un exemple de stratégie intégrée en appui à la transformation structurelle nécessaire pour assurer une croissance équitable et durable.
La compétition internationale et régionale est cependant féroce et demande la convergence de cette stratégie industrielle avec les autres stratégies et politiques sectorielles mises en place au Royaume, afin notamment d’assurer l’élargissement et le renforcement du tissu manufacturier local.
De plus, l’accent mis par ce plan sur un certain nombre de secteurs industriels qui semblent offrir les perspectives de développement les plus favorables dans l’avenir est très pertinent.

IDM : Outre le développement industriel, quels sontles efforts de votre Organisme par rapport à la protection de l’environnement de manière générale, et au traitement des déchets industriels, de manière plus spécifique ?

JMA : Je rappelle que notre Organisation a le mandat d’appuyer la réalisation d’un développement industriel inclusif et durable en renforçant les capacités de production et les capacités commerciales du secteur industriel ainsi qu’en appuyant les efforts pour que les industries nationales deviennent écologiquement viables grâce à des technologies de production moins polluantes et des méthodes de production économes en ressources.
L’ONUDI accompagne ainsi les efforts de ses Etats membres en appuyant le développement des politiques de développement durable et en encourageant une production écologiquegrâce aux programmes de production propre, de gestion des eaux industrielles, d’efficacité énergétique industrielle, de réduction des déchets et de la pollution et d’utilisation de formes d’énergie renouvelables à des fins de production notamment dans les zones rurales.
Il est nécessaire de rappeler qu’il ne s’agit pas de faire un choix entre le développement industriel et le développement durable.
Il s’agit plutôt d’assurer la transformation des processus de production et des modèles économiques qui contribuera à assurer las meilleures solutions aux enjeux environnementaux de nos sociétés.
Je voudrais mentionner l’initiative de l’ONUDI en faveur de l’industrie verte qui vise à intégrer des considérations sociales et environnementales dans les opérations des entreprises grâce à une utilisation plus efficace de l’énergie et des matières premières et en utilisant des technologies nouvelles et vertes.
Cette initiative vise d’une part à améliorer la performance environnementale des industries existantes et d’autre part, appuyer l’émergence des nouvelles industriesqui fournissent des biens et des services environnementaux.
Cette initiative s’appuie, entre autre, surla plateforme de l’industrie verte qui est constituée d’un partenariat mondial à plusieurs parties prenantes, géré par l’ONUDI et le PNUE(Programme des Nations Unies pour l’Environnement), dont l’objectif est de catalyser, mobiliser et intégrer l’action pour l’industrie verte dans le monde entier.
La Plateforme cherche à promouvoir la création de nouvelles industries vertes et à appuyer les industries existantes.

Parcours

Jaime Moll de Alba est le Représentant de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) au Royaume du Maroc depuis 2013.
Ingénieur de l’Université Polytechnique de la Catalogne, où il a commencé sa carrière professionnelle, spécialisé en organisation industrielle avec des études avancées dans les domaines de l’innovation et du développement technologique, M. Moll de Alba compte à son actif une vingtaine d’années de travail à l’échelle internationale dans le développement industriel et économique.
En effet, ce dernier a d’ores et déjà occupé différents postes au sein de l’ONUDI, notamment dans sa filiale de développement de l’agribusiness, où il était responsable du développement et de l’implantation de grands projets de coopération, ainsi que dans la filiale de la recherche et des études régionales où il était en charge des évaluations techniques et économiques pour le secteur industriel.
Jaime Moll de Alba compte également dans sa carrière une dizaine d’années au Luxembourg où il a travaillé en tant qu’expert pour la Commissioneuropéennedans le cadre de projets européens ciblant le développement économique, l’amélioration de la compétitivité, la promotion des PMEs, l’innovation et le transfert des technologies, mais aussiune expérience professionnelle à l’UniversitatPolitècnica de Catalunya, en Espagne où il a géré des projets de coopération internationale.

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