S’il est admis, à l’échelle mondiale, que l’eau est source de vie, au Maroc, cette matière vitale jouit d’un statut particulier. Avec une situation climatique qui la classe naturellement dans le lot des pays à stress hydrique, les autorités ont déployé une stratégie nationale pour prémunir la population et le développement économique de désagrément majeur. Cela lui réussissait bien, jusqu’à ce que le réchauffement climatique ne vienne rendre critique une situation déjà complexe.

Disons-le ostensiblement, en matière d’eau le Maroc n’est pas le mieux nanti. En effet, évalué à 22 milliards de m3 par an en moyenne, le potentiel de ses ressources naturelles en eau compte parmi les plus faibles au monde. Ce qui fait de cette matière vitale, un bien suffisamment précieux pour mobiliser l’attention des pouvoirs publics. Pour comprendre la raréfaction de l’eau, il faut regarder du côté de la pluviométrie qui, au Royaume, est loin d’être généreuse. Si le ministère de l’Equipement et de l’Eau en fait une estimation de 140 mm en année moyenne, il précise toutefois une grande variabilité spatiale, temporelle et interannuelle ; oscillant entre 800 mm dans le Nord très arrosé, et moins de 50 mm dans le Sud aride. Ce qui est de loin inférieur aux moyennes observées en Tunisie et en Libye, enregistrant respectivement 444 mm et 325 mm de précipitations moyennement par année.

Des ressources inégalement réparties

Comme susmentionné, les ressources hydriques marocaines sont disproportionnellement réparties entre le Nord et le Sud. Il faut déjà noter que les 22 milliards de m3 d’eau se subdivisent entre les eaux de surface comptant pour de 18 milliards de m3, et les eaux dites souterraines évaluées à pratiquement 4 milliards de m3, soit plus de 20% des réserves nationales. Ainsi, occupant seulement 7% du territoire national, les bassins septentrionaux regorgent plus de la moitié des eaux superficielles du pays. Ce sont notamment les bassins du Loukkos, du Tangérois, du Côtier méditerranéen, et du Sebbou. À l’opposé les bassins Saharien, Souss-Massa-Tiznit-Ifni, Ziz, Rhéris, Guir, Bouâanane, Maiden, plus arides ne fournissent que quelques millions de mètres cubes par an.

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Quant aux systèmes aquifères, un recensement effectué par le ministère de tutelle a permis de dénombrer 130 nappes dont 32 profondes et 98 superficielles. À ce niveau aussi des réserves d’eau du Maroc, le même principe de variabilité prévaut également. Prenant l’exemple des eaux en surface, toujours selon le MEE, leur crue peut monter jusqu’à 50 milliards de m3 ou baisser dans les 5 milliards de m3, d’une année à l’autre ; selon qu’il pleut abondamment ou pas du tout.

Une infrastructure de bon aloi

Au Maroc, le secteur de l’eau bénéficie d’un intérêt particulier des pouvoirs publics. Compte tenu des conditions particulières qui l’entourent (ressource limitée, inégale répartition…), les autorités ne ménagent aucun effort pour en garantir l’accès et assurer un approvisionnement harmonieux à l’ensemble de la population et des usagers. C’est dans ce sens que l’Etat et ses partenaires ont doté le Royaume d’importantes infrastructures hydrauliques. Alors que nous mettons sous presse, on compte à travers le pays, 145 grands barrages d’une capacité de stockage de 18,67 milliards de m3 et 15 autres structurants en construction qui ajouteront 3,4 autres milliards de m3 à la contenance actuelle. De plus, les appels d’offres de 5 nouveaux grands barrages, d’une portée additionnelle de 2,26 milliards de m3, suivent la procédure.

D’autres infrastructures visant le dessalement de l’eau de mer, la déminéralisation des eaux saumâtres et la réutilisation des eaux usées, existent. Elles sont soit à l’initiative de l’Etat, ou du privé comme c’est le cas de l’OCP à Jorf Lasfar et à Lâayoune pour l’eau de mer.

Stress hydrique, une bien triste réalité

Depuis le temps qu’on en parle, le stress hydrique n’a jamais été si sévère au Maroc. Si pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a stress hydrique sous la barre de 1700 m3/an/habitant, le Royaume lui est largement en dessous de ce niveau. Dans les conditions les plus favorables, la disponibilité en eau n’excédait pas les 700 m3, ce qui est alarmant. Et avec la sécheresse qui bat son plein, l’une des pires que traverse le pays depuis de 40 ans, elle est se situe à un niveau inquiétant : «en dessous des 500 m3 d’eau/an/habitant», estime Mohamed Jalil, expert en ressource hydrique. Une bien triste réalité qu’on ne peut occulter.

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«A l’échelle nationale, les barrages cumulent un taux de remplissage de seulement 27%», fait savoir l’AFP dans un reportage. Une situation que ne dément pas le ministre de l’Eau, Nizar Baraka, qui relevait dans un récent symposium dédié à l’eau une baisse similaire au niveau des eaux souterraines : «Concernant les nappes phréatiques, il faut dire que cette année en particulier, nous avons eu une baisse encore plus importante des nappes phréatiques qui a atteint dans certains endroits jusqu’à 6 m alors que la baisse moyenne est de 3 m par an, ce qui est déjà énorme». Et c’est fort de cette donne que les experts de la Banque mondiale, dans leur rapport de suivi de la situation économique, classe le Maroc comme étant dans «une situation de stress hydrique structurel».

Un pays chroniquement sec

La principale cause de cet appauvrissement en eau étant que «chroniquement le Maroc est un pays qui est sec», comme l’affirme Mohamed Jalil. En effet, le Royaume alterne, à fréquence régulière entre période de grande sécheresse et de pluviométrie abondante. Sauf que ces dernières années, le phénomène de réchauffement climatique est venu exacerber cette grande variabilité climatique, qui fait de plus en plus place à un prolongement des périodes sèches. Si bien que : «entre 1960 et 2020, la disponibilité par habitant des ressources en eau renouvelables est passée de 2 560 m3 à environ 620 m3 par personne et par an, plaçant le Maroc en situation de stress hydrique structurel (moins de 1 000 m3), et se rapprochant rapidement du seuil de pénurie absolue de 500 m3 par personne et par an», relate un autre rapport de la Banque mondiale relatif au climat et publié en octobre dernier.

Un autre facteur de la dégradation des ressources hydrique que souligne l’expert est le développement de la nation. «Parce que l’eau étant une denrée qui est utilisée par plusieurs secteurs, donc le développement économique a suscité véritablement une pression sur la ressource en eau». D’autre part, et ça on ne le dit pas souvent, le secteur agricole contribue d’une certaine façon à l’amplification du manque d’eau, absorbant plus de 80% des eaux. Un fait qui relève d’une politique agricole «qui privilégie une arboriculture fruitière aquavore», indique pour sa part l’agronome Mohamed Srairi, enseignant à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat.

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Des conséquences sans appel

La raréfaction de l’eau occasionne aussi bien un revers économique au pays que des conséquences sociales énormes. Sur le plan économique, il ne fait aucun doute pour la Banque mondiale que «les récentes sécheresses (…) ont contribué à amplifier la récession de 2020 et la reprise de 2021, et ralentiront de nouveau la croissance en 2022». Pour l’institution internationale, cette situation est délétère pour le Maroc, d’autant plus qu’elle occasionne une volatilité macroéconomique et induira une variance de près de 37% du PIB à moyen terme.

Quant au volet social, outre les petits paysans qui vivent le calvaire du manque d’eau, les autorités en charge de la gestion de l’eau ont instruit la réduction du débit d’eau à la pompe et interdit l’arrosage des espaces verts et des golfs avec l’eau potable. De plus, le domaine des puits et autres sources d’eau vient d’être réglementé.

Face à l’urgence, des mesures draconiennes

Vu le rôle déterminant de l’eau dans son développement, l’Etat a très tôt mis en place une politique ambitieuse de gestion de l’eau. En effet, tenant compte du contexte climatique et hydrologique extrêmement fragile, l’Etat a très tôt mis en place un processus de planification des ressources en eau au Maroc. C’est ainsi que dès les années 70, les premières études vont démarrer. Si le maître mot reste bien entendu la parfaite maîtrise de cette ressource vitale mais rare, les autorités visaient 04 grands objectifs.

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Comme l’indiquent des sources officielles consultées, l’Etat vise en tout premier lieu réaliser une planification et une gestion intégrée de ses sources d’eau, tant celles en surface, que celles souterraines. Second objectif recherché, l’affectation optimale des ressources, de sorte que l’offre répondant à la demande soit toujours alignée au développement économique et social de la nation. L’approvisionnement harmonieux, et des régions, et des secteurs d’activité constituait également une préoccupation majeure pour laquelle le transfert des eaux des bassins excédentaires vers ceux déficitaires s’avérait la solution idoine. Last but not least, la protection et la conservation des ressources hydriques figurait au nombre de ces objectifs.

Bâtir un modèle efficient

Ainsi au fil des années et des réalités observées au sujet de la question hydrique, le Maroc a bâti «un modèle efficient de la gestion de l’eau, cité en exemple à l’échelle internationale», clame-t-on du côté des autorités gouvernementales. Les grands chantiers faisant écho à cet engagement de l’Etat sont d’une part, les réalisations infrastructurelles, notamment les barrages et autres ouvrages de transfert d’eau, et d’autre part les dispositifs réglementaires et institutionnels qui ont été adoptés dans la foulée. Sur ce point, on peut citer la loi 36-15 sur l’eau (remplaçant la précédente 10-95), les Agences de Bassin Hydraulique (ABHs), favorisant une gestion intégrée, participative, et décentralisée des Ressources en Eau, ainsi que l’introduction de mécanismes financiers pour faciliter la protection et la préservation des ressources en eau.

En somme, malgré les tensions actuelles qui existent qui prévalent actuellement sur le secteur de l’eau, le Royaume s’est doté d’une stratégie hydrique long-termiste et avant-gardiste.

Gethème Yao

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