Dr Omar Fergani Siemmens

ENTRETIEN – Fort de son expérience dans les nouvelles technologies de fabrication, Dr Omar Fergani, Conseiller exécutif et spécialiste stratègie en technologies clé chez Siemens à Berlin, apporte son regard de spécialiste en expliquant notamment l’importance de la simulation digitale de l’impression 3D pour la maîtrise des coûts de production, et donne sa vision de l’industrie du futur et ses facteurs clés de réussite mais aussi du futur de l’industrie et ses implications géostratégiques.

Intéressé par l’industrie depuis son jeune âge, Dr Omar Fergani, originaire de Meknès, a poursuivi ses études en France. Son diplôme d’ingénieur en poche, il a eu l’occasion de travailler chez General Electric en Turquie, pays où il passera trois années à faire de la recherche, ce qui l’a motivé à se lancer dans un doctorat. Et c’est dans le célèbre Georgia Institute of Technology, aussi connue sous le nom de Georgia Tech, qu’il obtient son doctorat en génie mécanique avec une thèse, financée par Boeing, sur l’intégrité de surface dans les processus de fabrication hybrides additifs-soustractifs. Après un passage chez Schlumberger, un des leaders mondiaux dans le domaine de l’énergie et des technologies d’extraction pétrolière, où il était en charge des nouvelles technologies de fabrication. Il ensuite poursuivi sa carrière en Allemagne, en décrochant un poste à la division des industries digitales chez Siemens, un des plus grands conglomérats industriels au monde, qui commercialise des produits dans des domaines divers et variés tels que l’industrie ferroviaire, l’industrie automobile, l’éclairage, les équipements médicaux, le matériel ferroviaire, les automates, l’électroménager ou encore l’électroménager, l’informatique et les télécommunications…  Dr Omar Fergani a donc eu pour mission développer les toutes dernières technologies digitales pour accélérer la productivité et la production dans les différents domaines de l’industrie. Il a récemment gagné du galon en devenant executive assistant dans une équipe rattachée directement au CEO du groupe, et qui est chargée d’élaborer la vision stratégique et le développement technologique, soit du futur de l’industrie chez Siemens.

IDM : Pourriez-vous nous donner quelques exemples de projets de « technologies du futur » que vous avez développées chez Siemens et qui sont en train de révolutionner l’industrie ?

Dr Omar Fergani : Dans le domaine de la production, l’impression 3D de pièces métalliques est un domaine assez nouveau qui est très intéressant car c’est une technologie de rupture qui a déjà commencé à induire beaucoup de changements chez les entreprises. Aujourd’hui, au lieu d’avoir 3 ou 4 fournisseurs qui vont coopérer pour produire une seule pièce, avec l’impression 3D, non seulement cela devient possible de la fabriquer soi-même, à la maison, mais cela réduit également considérablement les coûts.

Mais ce qui est très important, c’est qu’il est aujourd’hui possible de produire des pièces d’un grand degré de complexité et qui vont avoir des fonctions très avancées. Ces processus demandent énormément de recherche, notamment au niveau de ce que nous appelons le jumeau numérique (digital twin), c’est-à-dire qu’avant d’imprimer, il faut donner aux clients les moyens de s’assurer de l’impression, et ce sans imprimer. Tout se fait sur une plateforme digitale et nous utilisons des technologies qui vont simuler les procédés au niveau physique, selon l’historique thermique et mécanique… pour prédire le comportement de cette pièce. Il s’agit d’un produit technologique software mais il faut comprendre que pour développer ce genre de technologies, il faut une équipe mixte de physiciens, de mécaniciens et d’ingénieurs informatiques.

Quels sont les avantages économiques à développer des technologies comme les digital twin  ?

J’ai eu la chance d’être de participer au développement du premier digital twin des procédés de fabrication d’impression 3D.  J’étais en charge d’une équipe localisée dans trois villes différentes, à Toulouse en France, à liège en Belgique et à Berlin en Allemagne, et nous avons développé en une année et demi le premier digital twin pour la fabrication additive. L’impact de ce produit a été énorme sur le marché de l’impression 3D parce qu’aujourd’hui nos clients sont arrivés à réduire les coûts de l’impression 3D de 30%. C’est vous dire l’impact économique que peuvent avoir ce genre de solutions.

Après cette belle expérience, j’ai occupé des fonctions plus tournées vers la recherche et stratégie et donc je me focalise un peu plus sur la manière dont l’intelligence artificielle va impacter les machines du futur, les process du futur. Et sur ce point, il faut comprendre qu’au-delà de l’aspect technologique, il y a l’aspect économique qui est très important.

En effet, la vision de siemens, après avoir constaté durant les 20 dernières années une délocalisation massive vers les pays à bas coût, est de se dire qu’avec ces nouvelles technologies, nous sommes capables d’aider nos clients à réduire nos coûts de productions locaux en Europe, aux Etats-Unis… et de rapatrier des opportunités ici en Allemagne, ce qui est énorme non seulement d’un point de vue économique mais aussi politique.

Pensez-vous que le Maroc puisse s’inscrire dans cette course à l’industrie du futur?

Ce qui est intéressant d’un point de vue marocain, c’est qu’il y a tellement de nouvelles technologies qui arrivent sur le marché et où il n’y a pas de dominance historique d’un pays ou d’un autre, que tous les pays partent du même point de départ. Ce que j’ai remarqué durant les 3 dernières années, c’est que des pays comme la Chine, qui n’a pas pu développer une industrie aéronautique ou automobile, est aujourd’hui très présente dans le domaine de la nouvelle intelligence car elle commence au même point de départ. Pour tout ce qui est 5G, fabrication additive, intelligence artificielle… les Chinois ont compris qu’il s’agit d’une réelle opportunité et ils sont là, au même niveau de compétence que les Américains ou les Européens. Mon souhait le plus cher est que le Maroc soit prêt, face aux nouvelles  opportunités qui se présenteront  dans les années à venir, pour commencer lui aussi du même point de départ et essayer de développer des technologies en local car nous avons la ressource la plus complexe à trouver, le talent humain, qui sont les jeunes de 19 à 27 ans, instruits… et c’est cela le plus important.

Comment percevez-vous les bouleversements technologiques sur le futur de l’industrie à l’échelle mondiale?

Pendant de nombreuses années, nous avons parlé d’intelligence artificielle, d’impression 3D mais aussi de de la 5G et de quantom computing, qui consiste en de nouvelles capacités de calcul très puissantes. Ces différentes technologies vont certainement bouleverser l’industrie au niveau mondial, certes au niveau technologique mais aussi au niveau géopolitique car, selon moi, il y a une compétition massive avec les géants asiatiques qui veulent aussi avoir leur part de gâteau.

Si je devais donner ma vision du futur, je dirais qu’il sera très surprenant, notamment du fait que des entreprises qui ont existé depuis 200 ans, qui produisent et qui sont robustes, pourront être amenées à disparaitre, justement parce qu’elles n’arrivent pas à s’adapter à ces nouvelles technologies. Nous le voyons déjà aujourd’hui, avec des entreprises technologiques comme Nokia qui a disparu. Il ne faut pas donc pas sous-estimer l’impact des nouvelles technologies dans l’industrie manufacturière.

Quels seront selon vous les facteurs clés de réussite des futurs leaders de l’industrie ?

A mon avis l’innovation dans les produits va être la plus importante et non l’industrie, la production, la fabrication. Celui qui comprendra les nouveaux besoins des sociétés, et à développer de nouveaux produits technologiques, et qui sera capable de les produire rapidement sans coûts excessifs, saura créer une véritable rupture avec tout ce qui est industrie traditionnelle.

Je pense que dans quelques années, nous ne parlerons plus d’industrie traditionnelle. La taille des entreprises qui vont produire va devenir très réduite et les entreprises vont se focaliser sur la personnalisation, là où nous faisons aujourd’hui de la production de masse. Je pense d’ailleurs que celle-ci va disparaitre d’ici quelques années. Nous voyons déjà aujourd’hui des exemples réussis, comme c’est le cas la Mini Cooper, dont le client peut choisir la couleur, les détails … sur une application et la commander au constructeur qui va ensuite fabriquer cette voiture personnalisée à bas coûts.

D’autre part, les usines vont devenir flexibles, alors qu’aujourd’hui elles sont une infrastructure rigide, complexe et coûteuse qui handicape énormément les grands groupes industriels. Avec l’intelligence artificielle et la robotique, nous allons introduire la flexibilité. Dans une même usine, nous pouvons désormais imaginer produire plusieurs gammes de produits.

Aussi, pour résumer, celui qui arrivera à se positionner comme leader dans le domaine industriel du futur sera celui qui maitrisera l’essence de ces technologies que sont la robotique, l’intelligence artificielle et l’impression 3D, c’est-à-dire leur business modèle.

Nous allons donc être très surpris car dans mon métier, nous voyons que les cités-Etat sont les plus performantes dans ce genre d’activités. Je prends l’exemple de Singapour, Dubaï, ou Londres… qui ont compris le potentiel de cette technologie et qui investissent massivement. Et C’est là qu’est la clé de la réussite dans le futur dans le domaine industriel.

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