Alors que l’issue du conflit devient de plus en plus incertaine, les conséquences de la crise russo-ukrainienne, elles, sont sans appel et bien connues. Si ses proportions énergétiques font vaciller l’occident, la crainte côté africain est plus alimentaire.

C’est un secret de polichinelle, la crise russo-ukrainienne inflige des dommages tous azimuts à l’économie mondiale. Du Nord au Sud, d’Est à l’Ouest, la guerre engagée depuis le 24 février dernier par Moscou n’épargne personne. « Tous les pays seront affectés par cette crise », avait prévenu, très tôt, la Commission des Nations-Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), par la voix de Rebeca Grynspan, sa Secrétaire générale.

Au lendemain des premiers bruits de canon, l’organisme onusien effectua une rapide évaluation de l’impact de la guerre en Ukraine, sur le commerce et le développement à l’échelle internationale. Dans le rapport éponyme, publié le 11 mars 2022, soit deux semaines après le déclenchement de la crise, la CNUCED avait déjà constaté que « les perspectives de l’économie mondiale se dégradent rapidement, sous l’effet de la hausse des prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais, d’une volatilité financière accrue, du désinvestissement en faveur du développement durable, de la reconfiguration complexe des chaînes d’approvisionnement mondiales et de l’augmentation des coûts commerciaux ». Un constat qui avait fait dire à la cheffe de l’organisation que « les pays, déjà soumis à une forte pression en raison des coûts de la pandémie, verront des perturbations dans le commerce, les déficits se creuseront et les investissements se contracteront ».

Au regard de l’évolution de la crise, on peut dire que Rebeca Grynspan et ses équipes ont eu le compas dans l’œil, tant leurs prévisions collent à la conjoncture présente.

L’Ukraine souffre le martyr

La Russie et l’Ukraine, les parties belligérantes, subissent à des fortunes diverses les répercussions économiques du conflit. Pour l’Ukraine, Sergei Guriev, professeur d’économie et directeur scientifique des programmes de master et doctorat d’économie à Science Po Paris, indiquait à fin 2022, une chute de 45% du PIB, et des coûts de reconstruction estimés entre 200 et 500 milliards (MM) de dollars ($). Un désastre économique comme le souligne une note d’information de l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui évalue à près de 5 millions d’emplois perdus à cette même période.

« Tandis qu’en mars 2022, le FMI estimait que ce taux se situerait entre 25 et 35% du PIB en 2022, la Banque mondiale anticipe quant à elle une chute de 45% du PIB pour 2022. Dans l’hypothèse où la crise se prolongerait et s’intensifierait, 90% de la population pourraient être confrontés à la pauvreté ou risqueraient de l’être, provoquant ainsi une perte de 18 années de progrès socioéconomiques en Ukraine et un retour aux niveaux de pauvreté enregistrés pour la dernière fois en 2004 », peut-on lire dans cette note publiée le 11 mai de l’année dernière.

Moscou paie le prix

La Russie qui a engagé les hostilités n’en est pas moins épargnée. Elle est également sujette à une inflation “hors de contrôle“, avec un rouble, la monnaie locale, fortement instable. À cela s’ajoute une baisse des approvisionnements de pétrole et de gaz russe, principalement en Europe, suite aux sanctions prises contre Moscou par les États-Unis et ses alliés européens, et le départ volontaire de près d’un millier de multinationales, occasionnant la perte de milliers d’emplois. Et si le conflit devait perdurer, ce sont près de 2 millions d’emplois qui seraient menacés.

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À ce rythme, le professeur Guriev, tablant sur une baisse probable du PIB de 10 à 11%, pense que le pays de Poutine risque d’entrer dans sa pire récession depuis les années 1990. Une “récession inflationniste“ selon Julien Vercueil, l’un des rares économistes français spécialistes de la Russie. Moins alarmiste, il situe la chute du PIB entre 5 à 9% et une inflation qui, au terme de l’année (écoulée), devrait s’établir à 15 %, avec des pointes à +40 % pour des produits comme les pâtes ou le riz, et un record à +60 % pour le sucre. « Jamais la Russie de Poutine n’avait connu une telle récession », conclut-il.

L’UE face à une crise énergétique sans précédent

Pour l’UE, c’était branle-bas avant l’hiver. La guerre en Ukraine a poussé le Vieux Continent dans la spirale d’une crise énergétique majeure. En effet, pour contraindre la Russie, et dissuader son effort de guerre, les Européens ont imposé à Moscou plusieurs sanctions économiques. Ce sont la fermeture des ports, aéroports et de l’espace aérien aux opérateurs russes, l’interdiction des transactions avec la Banque centrale et l’exclusion des banques russes du système SWIFT ; et, la plus sévère sans doute de ces mesures, l’interdiction de l’achat, l’importation ou le transfert de pétrole brut et de certains produits pétroliers de Russie vers l’UE. En ce qui concerne le gaz, l’UE, moins drastique sur la question, a engagé le plafonnement des prix après avoir demandé la réduction des approvisionnements à ses membres.

Et si on ne peut contester l’impact de ces mesures sur l’économie russe, le fait est qu’elles ont également un revers considérable sur celle des 27. « Cette guerre a un impact direct sur nos importations énergétiques, dont nos économies dépendent très fortement », déplore l’euro-député Christophe Hansen. Pour ce parlementaire luxembourgeois, « l’Europe connaît de graves dommages collatéraux alors que l’inflation ne cesse d’augmenter un peu partout et qu’on frôle la récession ».

NordStream 1 fermé

Et pour cause, si la part de la Russie dans la production mondiale de pétrole et de gaz naturel est respectivement d’environ 12 et 20%, cette part pèse pour beaucoup plus pour les pays de l’alliance. « Environ 80% du charbon, 40% du gaz naturel et entre 20 et 40% du pétrole utilisés en Europe sont importés de Russie », explique le professeur Isabelle Mejean, chargée de recherche au Centre for Economic Policy and Research (CEPR). Bémol, c’est que le mot d’ordre de sanction est une affaire occidentale. Si bien que Moscou, pour contrer les contraintes infligées par Bruxelles cherche preneur ailleurs pour son pétrole et son gaz. D’ailleurs, le pays n’a pas hésité à fermer Nordstream 1, le gazoduc par lequel est approvisionnée l’Europe, plongeant ainsi les 27 dans une crise énergétique sans précédent, et une incertitude croissante face à l’approche d’un hiver qui a été celui de tous les dangers.

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Ainsi à travers les différents pays européens, la crise en cours a occasionné une baisse de l’approvisionnement en gaz et en pétrole, ce qui n’est pas fait pour atténuer la hausse des coûts de l’énergie et de l’inflation, sur le vieux continent, qui variait, il y a un an, entre 3% (Suisse) et 26% (Estonie).

Aux USA, panne sèche à l’horizon ?

“La réserve stratégique de pétrole brut des Etats-Unis à son plus bas niveau depuis 1984“, a titrait Reuters, dans une brève parue le 6 septembre passé. Citant des données officielles, l’agence britannique a indiqué qu’à la date du 2 septembre, 7,5 millions de barils de pétrole avaient été puisés du stock stratégique. Si le recours à la réserve stratégique de pétrole (RSP) n’est pas directement lié à la guerre, force est de reconnaître que cette dernière l’a tout de même accentué. Il faut rappeler que la décision américaine, à sa prise, visait à endiguer la hausse du cours du brut. Peine perdue puisque depuis, les mesures de rétorsion adoptées par les États-Unis, et leurs alliés européens n’ont pas décéléré les prix de l’or noir.

Toutefois, le recours à la RSP n’épargne pour autant pas le chef de file de l’OTAN. Au mois d’août dernier, l’indice des prix affichait une hausse de 8,3%. Une annonce qui a d’ailleurs fait dégringoler Wall Street dans la journée du 13 septembre. “Le Monde“ qui a rapporté ce fait indique : « l’alimentation continue de s’envoler (+ 11,4 % sur un an) tout comme l’inflation hors énergie et alimentation (+ 6,3 % sur un an, contre + 5,9 % en juillet). Le logement, premier poste de l’indice, poursuit sa course folle avec une hausse annuelle de 6,2 % contre + 5,7 % le mois précédent ».

Jason Furman, économiste de Harvard, parle d’une “inflation médiane“ ayant atteint le chiffre « absolument épouvantable » de 9,2 %, et affirme que l’inflation est partout. Bien au-delà de ce que l’on voudrait faire croire. Son analyse est d’ailleurs confirmée par ce bout de phrase du président Biden dans un communiqué : « Il faudra plus de temps et de résolution pour faire baisser l’inflation ».

En Afrique, urgence alimentaire

Alors qu’elle se trouve à mille lieues du théâtre des opérations, l’Afrique n’est cependant pas épargnée des impacts du conflit russo-ukrainien. Déjà avant la crise, comme un peu partout dans le monde, la hausse des produits pétroliers avait occasionné une augmentation sensible du coût de la vie, caractérisé par une flambée des prix des denrées alimentaires. Une situation déjà délétère qui s’est malheureusement empirée depuis “l’invasion“, russe de l’Ukraine ; au point d’être une menace réelle sur la sécuritaire alimentaire. C’est ce qu’a expliqué à BBC, l’auteure et économiste Rachel de Sá : « la plupart des analystes s’attendaient à ce que les prix des matières premières perdent au moins de leur vigueur, mais le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux grands producteurs de matières premières agricoles et minérales, a changé la donne. Ce n’est donc pas seulement un problème de prix des aliments, mais aussi des intrants industriels. Pratiquement toute la chaîne de production est touchée ».

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Déjà que la Russie et l’Ukraine sont deux gros exportateurs de matières premières agricoles dont les pays africains sont largement tributaires. Ces deux pays représentaient avant la guerre, « 28,9 % des exportations mondiales de blé, selon la banque JP Morgan, et 60 % de l’offre mondiale de tournesol, selon S&P Global ». Une dépendance des pays africains mise en lumière dans le rapport du CNUCED cité plus haut. Rien que pour le blé, les analystes ont identifié 25 pays africains concernés par l’importation à partir de ces 2 pays. Le Bénin par exemple est dépendant à 100% de la Russie pour son blé.

Crise russo-ukrainienne : Dépendance accrue

Mais il n’y a pas que le blé, la Russie et l’Ukraine pesant significativement dans l’offre mondiale de certains autres produits agricoles, tels que l’orge (23%), le maïs (14%), ainsi que le tournesol (53%) et le colza (16%). Des produits céréaliers et oléagineux indispensables à la transformation de nombreux aliments de base tels que le pain et l’huile de table. Et si dans la plupart des Etats africains les gouvernants s’efforcent à maîtriser le prix du pain, c’est un exercice beaucoup plus périlleux pour l’huile de table qui a vu sa valeur majorée de plus de 50% depuis le début de la crise.

En clair, avec l’entrée en guerre de la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine, les répercussions sur l’économie mondiale sont sans équivoque avec une croissance mondiale en berne. La part de ces deux pays dans les échanges mondiaux a provoqué tension et pression sur des produits de base qui ont poussé le monde dans une “stagflation“ sans précédent. Enrayant du coup les maigres acquis de la relance post-covid, et faisant planer le risque d’une crise humanitaire de grande envergure si le conflit se prolonge.

Gethème Yao

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